Vie nocturne : comment Turin a redonné vie à deux quartiers en associant les habitants

Septembre 2023 – Comment redonner vie à des quartiers vécus comme peu sûrs la nuit et permettre aux habitants de se les réapproprier ? Confrontée à ce défi, la ville de Turin (Italie, 886 000 habitants) a mis en oeuvre 19 projets locaux de revitalisation de deux quartiers situés près du fleuve Dora à partir des souhaits et propositions des habitants, dans le cadre d’un projet global intitulé ToNite dont l’Efus était partenaire. 

L’une des originalités de ToNite (septembre 2019-août 2023) par rapport à d’autres projets européens est qu’il était financé par l’initiative Actions Innovatrices Urbaines de l’Union européenne (2014-2020), dont l’objectif était d’aider les villes européennes à « mettre en oeuvre des solutions nouvelles et innovantes afin de faire face aux défis urbains qu’elles rencontrent ».

Écouter les habitants

Dans une première phase qui a duré neuf mois (mars-décembre 2020), les partenaires ont organisé une série de rencontres avec les habitants. Le but était de recueillir leur ressenti et leurs attentes, mais aussi de susciter l’engagement d’acteurs locaux peu habitués à collaborer avec la mairie, tels que les écoles, les communautés d’origine étrangère et les petites associations. 

Sur la base des informations recueillies pendant cette phase d’écoute, la municipalité de Turin a lancé un appel à projets locaux qui pouvaient bénéficier de subventions allant 30 000€ à 60 000€ (sur un budget total ToNite d’un million d’euros). Elle en a sélectionné 19, sur un total de 83 présentés, portés par des partenariats réunissant 57 acteurs locaux.  

Les quartiers racontés par leurs habitants

L’un des 19 projets consiste à encourager les habitants à raconter leur histoire personnelle liée à un lieu en particulier (dans l’un des deux quartiers ciblés par ToNite) et de la partager par le biais d’une application mobile intitulée Tellingstones

Développée par une startup turinoise, Espereal Technologies, l’appli peut être utilisée avec des senseurs virtuels (geofencing) permettant aux utilisateurs de localiser sur un plan les histoires et services liés à tel ou tel endroit et de recevoir une alerte lorsqu’ils se trouvent à proximité. Par exemple, ils peuvent recevoir une histoire lorsqu’ils se trouvent près d’un monument ou d’une association locale.

Collecter des données probantes

Dans un autre domaine, le projet ToNite a adopté une approche innovante en matière de collecte et d’analyse de données sur les perceptions d’(in)sécurité, notamment la nuit. Il était en effet essentiel pour la ville de Turin et ses partenaires d’avoir une connaissance fine de la façon dont les habitants percevaient la sécurité et leur qualité de vie, ainsi que de l’évolution de ces perceptions dans le temps. 

Les partenaires du projet ont ainsi mené une étude ethnographique de la population des deux quartiers ciblés et développé des outils de collecte et d’analyse des données récoltées soit directement auprès des habitants, soit par le biais des réseaux sociaux ou de senseurs. Ils ont également créé un modèle conceptuel des données relatives à la sécurité urbaine permettant d’évaluer la sécurité et la qualité de vie sous différents angles.

Illustration : projet ToNite.

Enfin, ils ont développé une Plateforme numérique urbaine afin de comprendre, analyser et anticiper des phénomènes de sécurité urbaine qui peuvent affecter les perceptions des habitants.

Une aide à la décision

La question du pilotage par la collecte et l’analyse des données est particulièrement utile pour l’aide à la décision et la gouvernance de la nuit. C’est un aspect qui peut être complexe à gérer pour les collectivités, dont les services ont tendance à travailler en silos et ont parfois des difficultés à rassembler, analyser ou identifier les données utiles. L’intérêt de ToNite pour les villes est que le projet s’appuie sur la proximité, le dialogue mais aussi la technologie au service de l’humain.

Des pratiques inspirantes pour d’autres villes 

Les pratiques mises en place par la municipalité de Turin dans le cadre de ToNite peuvent inspirer d’autres villes européennes qui cherchent à redynamiser des quartiers peu ou prou délaissés, à lancer une démarche de participation des habitants, à combattre un sentiment d’insécurité la nuit, à dynamiser l’offre de services et de loisirs la nuit, ou tout cela à la fois. 

Plus largement, le projet ToNite a permis d’associer les habitants à la construction d’une politique globale de redynamisation des quartiers concernés en favorisant le dialogue, la proximité et la cohésion sociale. L’Efus défend de longue date une telle approche qui permet de concevoir des politiques urbaines qui soient véritablement en phase avec les habitants et qui favorisent un sentiment d’appropriation et d’appartenance. 

L’essentiel du projet en fiches pratiques

L’un des rôles de l’Efus en tant que partenaire est de veiller à ce que les actions développées par ToNite puissent être répliquées par d’autres villes. Ainsi, l’Efus met à la disposition des collectivités intéressées trois fiches pratiques qui résument les principaux points du projet et qu’elles peuvent utiliser comme référence pour leurs propres actions : 

> Recherche ethnographique et sociale sur la perception locale de la sécurité urbaine pendant la nuit

> Engagement et responsabilisation des communautés locales et des acteurs locaux

> Une approche pluridisciplinaire et fondée sur des données face aux défis urbains

Les multiples enjeux de la vie nocturne

Pour l’Efus, qui travaille sur les questions de vie nocturne depuis plus d’une trentaine d’années, le projet ToNite était particulièrement intéressant parce qu’il répondait à de multiples enjeux : comment mettre en place une stratégie de la vie nocturne concertée et partagée avec l’ensemble des parties prenantes, comment organiser une gouvernance de la nuit, et comment associer les habitants autour d’un pacte social de la nuit.

« Pour les collectivités, la qualité de la vie nocturne est un enjeu qui concerne de multiples domaines d’intervention publique : le tourisme, la culture, l’économie, le développement durable, la participation des habitants, et bien sûr la sécurité. Les villes doivent anticiper l’avenir, notamment face aux défis climatiques qui affectent tous les domaines de la vie urbaine, entre autres la vie la nuit. », a expliqué Vanina Hallab, responsable du pôle ingénierie locale au Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU) et anciennement responsable de la politique de la nuit de la ville de Bordeaux, lors de la conférence finale du projet ToNite, le 6 juillet 2023 à Turin. 

Pour aller plus loin:

Coordonné par la municipalité de Turin (COTO), le projet ToNite rassemblait, outre l’Efus, la Torino Wireless Foundation (TOWL), Engineering (ENG), Experientia (EXP), SocialFare (SOFA), Espereall (ESP) et l’Association nationale des municipalités italiennes (ANCI).

Suivre les activités vie nocturne du Forum

ToNite s’est achevé mais les pratiques que les partenaires ont développées dans le cadre du projet ont toujours cours et peuvent être répliquées par d’autres collectivités, notamment en matière de participation citoyenne et de collecte, d’analyse et d’utilisation de données probantes pour la construction de politiques de la nuit. L’Efus poursuit ses travaux sur la thématique de la vie nocturne par le biais de rencontres, conférences, ateliers et publications régulières. Il anime également un groupe de travail conjointement avec la Plateforme de la Vie nocturne, un collectif réunissant des acteurs publics et privés en France et, de plus en plus, à l’échelle européenne.