Paris, France, Mars 2022 – La sécurité des espaces publics dépend d’une multitude d’acteurs et de métiers, des secteurs public et privé, qui ont des cultures professionnelles, des modes de fonctionnement et des finalités d’action différentes. Cette co-production de la sécurité devient alors non seulement logique mais aussi nécessaire et peut contribuer davantage au renforcement de la gouvernance collective des politiques de sécurité urbaine. Renforcer ce continuum de sécurité est donc d’une importance majeure pour les villes européennes mais il convient aussi de prendre en compte un certain nombre d’obstacles.
Dans cet article, Christian Vallar, Professeur de droit public et chercheur associé de PACTESUR, explore la législation et la jurisprudence de la sécurité privée dans l’espace public en France.
Le continuum de sécurité proclamé par les autorités françaises, à savoir la chaîne ininterrompue entre les forces publiques étatiques de sécurité intérieure (police et gendarmerie nationales), les polices municipales et la sécurité privée, ne peut que conférer un rôle accru à cette dernière.
Dans les années 1970 elle avait mauvaise presse, avec une image de « milice patronale » briseuse de mouvements sociaux. Puis avec la décennie 1980, la classe politique a compris que la sécurité privée pouvait utilement seconder les forces publiques.
Par ailleurs, l’emploi de la sécurité privée se justifiait davantage par l’argument de la nécessité, à savoir que les difficultés budgétaires de l’Etat l’amène à se décharger sur les collectivités territoriales et le secteur privé des tâches qui ne relèvent pas du régalien. Cependant, l’interdiction de la délégation à des personnes privées de compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique est un principe relevant de l’identité constitutionnelle de la France (Cons.const., 15 octobre 2021, n° 2021-940 QPC, Société Air France).
La présence de la sécurité privée dans l’espace public est de ce fait encadrée et assez limitée par la jurisprudence. Le juge constitutionnel a censuré les dispositions qui rendaient possible la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale en lui confiant la gestion d’un système de vidéoprotection pour le compte d’une personne publique et l’autorisation de visionner les images prises sur la voie publique (Cons.const., 10 mars 2011, n° 2011-625, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure).
A maintes reprises, la prohibition de principe pour les agents de sécurité privée d’intervenir sur le domaine public est rappelée. Il n’est pas autorisé pour une commune de confier des tâches de surveillance de la voie publique qui relèvent de la police municipale à une société privée de gardiennage (Conseil d’Etat, 29 décembre 1997, commune d’Ostricourt). Une commune ne dispose d’aucune compétence pour créer un service opérationnel en vue de confier à des particuliers des missions de surveillance de la voie publique ou des bâtiments publics (Tribunal administratif de Montpellier, 5 juillet 2016, Préfet de l’Hérault). De même pour une convention accordant à une société privée le soin d’assurer des activités d’îlotage, de ronde et de surveillance sur l’ensemble du territoire communal ( TA Versailles, 17 janvier 1986, Commissaire de la République de Seine et Marne).
Est-ce à dire que l’espace public est interdit à la sécurité privée ? La réponse est non : dans le cadre fixé par le droit constitutionnel, le législateur l’autorise à intervenir mais avec parcimonie. Le préfet par dérogation peut permettre des missions, y compris itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations et effractions visant les biens dont la sécurité privée a la garde et pour la prévention des actes de terrorisme (art. L. 613-1 Code de la sécurité intérieure ou CSI). L’encadrement des manifestations festives ou sportives sur la voie publique ou qui nécessitent un contrôle avant l’entrée des enceintes dédiées fait appel à des agents privés, qui peuvent inspecter visuellement les bagages et les fouiller, et procéder à des palpations de sécurité, mais avec l’agrément de la personne contrôlée et sous la surveillance d’un officier de police judiciaire. Il en est de même avec les périmètres de protection définis par le préfet en cas de risque terroriste (art. L. 226-1 CSI). La loi du 26 février 1996 autorisait déjà des opérateurs privés à exercer le contrôle des passagers et des bagages au sein des aéroports, mais toujours sous le contrôle des OPJ.
La population objecte rarement à ces interventions somme toutes réduites dans l’espace public. Les collectivités territoriales lors des grands événements font collaborer leurs polices municipales avec le secteur privé, utilisé aussi par l’Etat pour le gardiennage et la surveillance des bâtiments publics tels certains palais de justice. En France, la primauté est toujours celle de l’Etat républicain. Par exemple, lors du carnaval ou encore pour l’Euro de football, la ville de Nice et sa police municipale travaillent en partenariat étroit avec la police nationale, donc le préfet, et les sociétés de sécurité privée afin d’assurer la sécurité des espaces publics. En Espagne, on retrouve le schéma français : police nationale, polices locales, voire polices autonomiques en Catalogne ou au Pays basque.
Cet article a été édité pour des considérations de clarté et de longueur. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas les opinions du Consortium ou de la Commission européenne.
A propos de l’auteur :
Christian Vallar est Docteur d’Etat en droit, Professeur de droit public à l’Université Côte d’Azur, Doyen honoraire de la Faculté de droit et science politique, Directeur du CERDACFF (Centre d’études et de recherche en droit administratif, constitutionnel, financier et fiscal). Directeur du Master Sécurité intérieure, Référent Défense de l’Université, membre du comité de rédaction de la revue de l’Institut des Hautes Études du ministère de l’Intérieur. Colonel de gendarmerie (réserve citoyenne). Depuis 2019, il est membre du Comité consultatif d’experts du projet PACTESUR.