L’approche italienne face au crime organisé : saisie des biens et réutilisation à des fins sociales

Paris, France, mars 2022 – Le groupe de travail de l’Efus sur le crime organisé a tenu une session le 16 mars sur l’approche italienne face aux mafias, qui est de confisquer leurs biens et de les réinvestir localement dans des projets sociaux qui bénéficient à la population.

Cette conférence, qui fait partie d’une série en cours, était présentée par Gian Guido Nobili, chef du service de Sécurité urbaine et de Prévention de la délinquance à la Région Émilie Romagne et délégué général du Forum italien pour la sécurité urbaine (FISU).

Pire que la prison

Selon le Conseil de l’Union européenne, les revenus des principaux marchés criminels représentaient 1% du PIB de l’UE, soit 139 milliards d’euros, en 2019[1]. Selon d’autres estimations de l’UE, le coût pour les victimes et pour l’économie de la criminalité organisée se situe entre 218 et 282 milliards d’euros par an[2].

Gian Guido Nobili a cité l’évaluation annuelle d’Europol sur la grande criminalité et la criminalité organisée (Serious and Organised Crime Threat Assessment) pour 2021, selon laquelle plus de 5 000 groupes criminels font actuellement l’objet d’une enquête en Europe. Plus de 80% d’entre eux utilisent des structures commerciales légales et blanchissent de l’argent, ce qui est préoccupant pour l’UE. La confiscation de ces biens mal acquis cachés dans des structures légales est ainsi l’une des priorités de la stratégie de l’UE sur l’union de la sécurité.

M. Nobili a dressé un tableau de la lutte des autorités italiennes contre la criminalité organisée au cours des dernières décennies. Les mafieux, a-t-il dit, « ont plus peur de perdre leurs biens que d’aller en prison ». De fait, la prison est considérée comme faisant partie de la ‘formation’ et même un motif de fierté alors que perdre des biens (argent, maisons, hôtels, clubs de nuit, yachts, etc.) est humiliant et frappe au cœur puisque le but du crime organisé est d’amasser de la richesse.

Cette approche, que l’Italie a adoptée à partir des années 1980, a représenté « un grand pas en avant » et le cadre juridique est à présent solide et fonctionne bien, a remarqué M. Nobili.  

Restitution aux communautés locales

Sous la pression d’une société civile choquée par le double meurtre des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino en 1992, notamment une pétition réunissant plus d’un million de signatures, le gouvernement italien a promulgué une loi en 1996 aux termes de laquelle les biens confisqués à la Mafia peuvent être réinvestis localement dans des projets à fin sociale.

M. Nobili a souligné « l’énorme créativité des associations italiennes, notamment de jeunesse » pour imaginer comment réutiliser les biens de la Mafia, par exemple dans des écoles, des jardins d’enfant, des centres d’accueil pour personnes âgées et des centres culturels ou de jeunesse. Il a cité plusieurs exemples, comme le Musée des Carabiniers de Palerme, en Sicile, et la Villa Berceto saisie à la Camorra en Émilie Romagne et convertie en centre civique, avec un investissement régional de 800 000€. Un autre exemple est celui d’une villa à Maranello, également en Émilie Romagne, ville-berceau de la marque automobile Ferrari. Cette villa a été convertie en un hôtel qui pourra employer jusqu’à 10 femmes victimes de violence domestique.

« L’important, ce n’est pas tant la destination finale de ces biens confisqués mais la participation des communautés locales à leur réutilisation à des fins sociales. En Italie, nous avons amélioré au fil des années ce processus d’utilisation des biens confisqués pour renforcer les communautés locales. Ce n’est pas seulement un investissement économique ou une activité institutionnelle. C’est un projet qui doit associer les citoyens à l’échelle locale », a déclaré Gian Guido Nobili.

Les principaux points de la session

En conclusion de la session, Tatiana Morales, chargée de mission à l’Efus, a identifié trois points à retenir :

  • la récupération des biens est un outil de prévention efficace parce qu’elle a un effet dissuasif ;
  • réutiliser les biens confisqués à des fins sociales a non seulement une valeur économique mais aussi sociale, qui doit être entretenue sur la durée ;
  • les collectivités ont d’amples opportunités de s’engager dans cette voie avec le soutien des régions et de leur gouvernement national.  

> La prochaine webconférence du groupe de travail sur le crime organisé aura lieu le 20 avril et sera consacrée au crime organisé dans les ports européens. La session suivante aura lieu le 15 juin et sera consacrée au Crime organisé et la violence urbaine : perspectives européennes et américaines.

 > Suivre les activités du groupe de travail sur le crime organisé sur Efus Network


[1] https://www.consilium.europa.eu/en/policies/eu-fight-against-crime/ – :~:text=Organised crime is a major, and often operate across borders.

[2] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_1379