La polarisation, un défi complexe pour les autorités locales

50428000016438008_zc_v47_puzzle_1126509_1920_(1)Paris, France, septembre 2019Les sociétés européennes sont en risque de polarisation croissante. En effet, les courants extrémistes et populistes gagnent du terrain dans de nombreux pays ; ils s’installent au coeur du débat politique et même occupent des fonctions de gouvernement. Un certain nombre de thèmes de débat public tels que la gestion des flux migratoires, la réponse au changement climatique ou encore le traitement de la consommation de drogue sur l’espace public déclenchent des discussions de plus en plus acerbes et les opinions se retranchent, de plus en plus éloignées.

De plus, les plateformes contemporaines de débat politiques telle que les réseaux sociaux ou les émissions de débat sur internet ou à la télévision s’appuient sur et alimentent les oppositions frontales et mêmes les attaques verbales et les insultes, au lieu du dialogue et de l’équilibrage des opinions. Cela alimente une pensée « eux et nous » qui nie la complexité, l’interconnexion et l’interdépendance qui sont au coeur de notre vie sociale et particulièrement nécessaires au débat démocratique et à la coopération.



> Qu’est-ce que la polarisation ?

Le terme « polarisation » est de plus en plus utilisé pour décrire ces tendances sociales, politiques et psychologiques. Très liée à d’autres phénomènes tels que le clivage et le conflit, l’inégalité et la discrimination, la radicalisation et l’extrémisme, la polarisation peut alimenter la violence et la désintégration sociale et donc la cohésion sociale et la sécurité. De fait, on peut considérer que la polarisation et la cohésion sociale sont deux pôles situés chacun à un extrême d’un continuum. On peut qualifier la cohésion sociale comme impliquant une relation de confiance entre les personnes, des relations sociales denses, la confiance envers les institutions jugées légitimes, la polarisation au contraire peut être comprise comme étant l’absence de tels indicateurs.

Elle se caractérise par la fermeture des identités sociales où les personnes se retrouvent opposées les unes aux autres, ce qui mène à la marginalisation et la discrimination. Elle déshumanise l’autre supposément antagoniste avec des données, des faits et des arguments fallacieux même en l’absence d’un groupe opposant réel ou homogène.  

Si les identités sociales fondées sur la définition de « nous » et « eux » sont des traits normaux de la vie sociale et de la communication – elles donnent une identité et une certaine sécurité –, les identités sociales très fermées s’avèrent souvent toxiques : elles ne permettent pas de répondre à la question « Qui suis-je ? » et peuvent au contraire favoriser le retrait de la société et mener à la dévaluation et la déshumanisation des autres.


> Une boîte à outils pour évaluer la polarisation à l’échelle locale

De nombreuses autorités locales européennes manquent de connaissances approfondies et détaillées sur les processus de polarisation, un phénomène complexe, multiple et en augmentation rapide. La recherche sur la polarisation et les stratégies politiques pour y répondre se développent aussi rapidement mais n’en restent pas moins tâtonnantes. Par conséquent, les définitions et les concepts sur ce phénomène sont encore peu clairs, de même que les connaissances sur sa prévalence, sa dynamique, son impact et sa distribution géographique et temporelle sur le territoire d’une municipalité ou d’une région. Ce manque de connaissances pose problème : sans elles, il est difficile de mieux répartir les ressources et de développer des mesures de prévention efficaces. Il est donc très important de renforcer les connaissances et les données sur la polarisation.

Afin d’aider les autorités locales à évaluer et surveiller les processus de polarisation à l’échelle locale, le projet BRIDGE a développé une boîte à outils méthodologique qui comprend trois sections présentant chacune une série d’outils accompagnés de conseils d’emploi permettant d’obtenir des données sur les processus locaux de polarisation.


Pour commencer : démographie, structures sociales et participation civique

La polarisation peut naître lorsqu’un groupe se perçoit comme étant ou bien est de fait exclu et marginalisé, pas entendu ni reconnu. Ceci peut générer des agressions, des victimisations et un sentiment d’impuissance. Pour évaluer la situation locale, il convient d’examiner de façon systématique les données démographiques pertinentes et les structures afin de mesurer le degré de résilience des communautés locales face à la polarisation. Les informations réunies doivent alimenter les dispositifs de prévention ultérieurs.

Cette section présente une large gamme d’outils permettant aux acteurs locaux d’analyser les données démographiques, les structures sociales et les mécanismes de participation citoyenne, ainsi que d’identifier les forces et les faiblesses qui peuvent alimenter un processus de polarisation.


Faire un bilan : après avoir examiné votre contexte, mesurez la présence de polarisation

La polarisation a une influence croissante qui touche les quartiers, les régions et les pays. Dans la plupart des cas, les processus de polarisation entre ces différents niveaux s’entrecroisent et se mêlent. À l’ère de Facebook, Twitter et Instagram, les reportages dans les médias nationaux peuvent alimenter la polarisation dans les quartiers, tandis que des incidents violents locaux peuvent générer de la polarisation bien au-delà du lieu où ils se produisent. Même les contextes globaux peuvent contribuer à la polarisation à l’échelle locale. Il est donc important de mesurer à la fois les caractéristiques spécifiques et les contextes plus larges d’une situation locale.

Cette section comprend une large gamme d’outils, notamment des questionnaires, pour analyser la pensée « eux et nous », la pensée « perdant-gagnant », la résilience individuelle et communautaire, l’empathie envers les groupes extérieurs, la réactivité interpersonnelle et d’autres facteurs clés de polarisation. Chaque questionnaire est accompagné d’explications sur son utilisation. 


 Planter le décor : se préparer pour répondre à la polarisation au niveau local

Prévenir la polarisation n’est pas un travail isolé qui se fait à partir de zéro. C’est une démarche qui fait pleinement partie de l’ensemble des politiques locales et s’appuie sur les ressources, les acteurs et les structures existantes, en prenant en compte l’expérience acquise dans différents domaines d’intervention. La prévention de la criminalité comprend des objectifs généraux tels que créer des conditions de vie équitables et favoriser la cohésion sociale. Elle est liée aux politiques d’intégration, de développement économique et contre la discrimination ainsi qu’aux programmes de jeunesse et éducatifs.

Les outils présentés dans cette section aident les acteurs locaux à recenser leur partenariat local et à identifier leurs ressources et besoins. Cette évaluation leur permettra de développer des mesures efficaces pour prévenir et réduire la polarisation.


>  Les diagnostics innovateurs du projet BRIDGE

Dans le cadre du projet BRIDGE mené par l’Efus, 13 collectivités partenaires utilisent ces méthodologies pour évaluer la polarisation sur leur territoire. Des audits sont ainsi en cours à Bruxelles (BE), au Conseil départemental du Val d’Oise (FR), à Düsseldorf (DE), le gouvernement de Catalogne (ES), Genk (BE),  Igoumenitsa (GR), Louvain (BE), Reggio Emilia (IT), Région Ombrie (IT), Rotterdam (NL), Terrassa (ES), Stuttgart (DE), et Vaulx-en-Velin (FR).

Efus a mis en place un panel de cinq experts de haut niveau pour soutenir les acteurs locaux. Les experts apportent chacun un savoir et une perspective différente. Il s’agit de :

Dr Eolene Boyd-MacMillan (Université de Cambridge, Groupe de Recherche IC Thinking, Royaume-Uni) est une psychologue qui travaille sur le développement, la mise en place et l’expérimentation de nouveaux types d’intervention pour répondre à la polarisation sociale, prévenir les extrémismes violents et réduire les conflits toxiques entre groupes, dans toute sorte de contextes.

Markus Pausch (Université des Sciences appliquées de Salzbourg, Autriche) est professeur de science politique et expert en démocratie inclusive, éducation à la citoyenneté, innovation démocratique et participation.

Tim Chapman (Université de l’Ulster, Irlande du Nord, Royaume-Uni) est professeur de justice restaurative. Il a une très grande expérience universitaire et de terrain en justice restaurative, conflit interculturel et probation.

Götz Nordbruch (UFUQ.de, Allemagne) est un grand spécialiste en matière de cultures musulmanes jeunes, de racisme, d’islamisme, d’utilisation des médias par les jeunes musulmans et migrants. Il est aussi spécialisé en prévention de la radicalisation dans l’éducation.

Adrian Jofre-Bosch (Institut royal Elcano, Espagne) est un conseiller indépendant spécialisé en médiation, négociation et résolution de conflit.

Les audits se dérouleront jusqu’à novembre 2019, date à laquelle le consortium BRIDGE se retrouvera à Barcelone pour la deuxième réunion de coordination du projet.


Pour plus d’information sur le projet BRIDGE, voir : https://efus.eu/fr/topics/activity/16652/