Sécurité par le design : vers une plus grande intégration

Un projet de partenariat entre la Sustainable Design School de Nice et le projet PACTESUR

Nice, France, juillet 2021 – Depuis 2019, Laetitia Wolff, enseignante et consultante en design impact et stratégie, anime un cours dans le cadre du partenariat entre la Sustainable Design School de Nice (SDS) et le projet PACTESUR, dont Efus est partenaire. Le projet PACTESUR a chargé la SDS d’évaluer les équipements de sécurité déployés dans les villes partenaires du projet, Nice, Turin et Liège, de créer des dispositifs et des stratégies de sécurité innovants et d’imaginer comment impliquer les citoyens dans le processus. Dans cet entretien, elle explore le rôle du design dans la protection des espaces publics et la nécessité d’appliquer des approches de design centrées sur l’humain dans le domaine de la sécurité.

Le rôle de la Sustainable Design School dans le projet PACTESUR
par Laetitia Wolff

L’un des quatre axes du projet PACTESUR est l’identification des investissements locaux les plus adaptés pour sécuriser les espaces publics à travers trois équipements pilotes de sécurisation à Nice, Liège et Turin, transférables à d’autres villes européennes. La Sustainable Design School de Nice (SDS) a été sollicitée pour évaluer les équipements de sécurité installés dans les villes partenaires du consortium : à Nice, le partie ouest de la Promenade des Anglais sécurisée par des bornes ; à Turin, des caméras et un logiciel de reconnaissance faciale pour la Piazza di Veneto, et, à Liège, des barrières amovibles installées place Saint Lambert.

Extrait du Project citiz, la deuxième partie du projet security by design des étudiants de la SDS (2021)

En m’appuyant sur mon expérience avec le New York Police Department (NYPD), ainsi que sur le travail de « social design » centré sur la participation citoyenne que j’ai mené pendant des années à New York, j’ai eu le plaisir de diriger cette initiative et de guider les talentueux étudiants de la SDS depuis deux ans. L’introduction d’une recherche-action expérimentale et d’une approche créative de la sécurité centrée sur l’humain a probablement représenté le plus grand « bond culturel » pour les experts en sécurité spécialisés en technologie et les responsables administratifs des municipalités. Ce partenariat a commencé avec la Promenade des Anglais comme premier site d’étude (2019-20). Sur la base de l’objectif no. 11 de développement durable des Nations unies – « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables » – notre premier groupe d’étudiants intitulé In/Pact a conçu des interventions interactives dans les rues, des jeux de société et des stratégies de dialogue avec les citoyens. Ils ont remis en question le processus traditionnel de décisions « venant du haut » en faveur d’une approche participative du design urbain, en impliquant les migrants dans leur parcours d’utilisateurs et en démocratisant le sujet tabou du terrorisme.

Occupy est un jeu participatif inspiré du célèbre jeu de la pétanque – qui s’interrogeait sur l’idée que les gens se font du terrorisme. Projet du premier groupe d’étudiants SDS 2019-2020
Dans les deux itérations, In/Pact et Project Citiz, notre postulat était de donner aux citoyens un rôle à jouer dans la stratégie de sécurité. Le « logo clin d’œil » de Project Citiz est un hommage à Jane Jacobs, la célèbre théoricienne américaine de l’urbanisme qui a inventé le terme « eyes on the street » dans son livre fondateur, The Death and Life of Great American Cities – dans lequel les citoyens surveillent leur propre quartier pour assurer une sécurité optimale et une bonne appropriation de l’espace

Lancé au début de l’année 2021, alors que la pandémie du Covid-19 faisait rage, que les cours étaient donnés via le tableau interactif MIRO et Zoom, le deuxième volet de notre collaboration, intitulé Projet Citiz, a invité les étudiants à se concentrer sur la Piazza Veneto de Turin et la Place Saint Lambert de Liège. Sans déplacement possible, nous avons mené nos recherches en interrogeant un large réseau de personnes – résidents belges et italiens, architectes, criminologues, designers, représentants des forces de police, psychologues, éducateurs en prévention et directeurs de laboratoires urbains.

Logo du Project Citiz

Nous avons cherché à savoir comment le design pouvait faciliter l’intégration des dispositifs, stratégies et services de sécurité dans un contexte plus large, que ce soit dans le paysage urbain ou dans la société. Comment éviter la « bunkerisation » ? La sécurité doit-elle être incluse dans l’éducation civique et devenir une stratégie préventive plutôt qu’un processus curatif ? La sécurité peut-elle devenir un sujet discuté de manière proactive et ouverte entre les citoyens et la police ? Ce sont quelques-unes des questions qui ont sous-tendu notre processus de découverte jusqu’à ce que les étudiants arrivent à une stratégie de quatre solutions de conception complémentaires, organisées autour de verbes d’action simples : S’informer, Notifier, Agir et S’engager. Les solutions présentées ici comprennent une intervention graphique de prévention, une application, un bracelet d’alerte et un système de barrière en forme de bouclier pour les événements publics. Pour chacune des solutions de design proposées par les étudiants, nous avons pensé à anticiper l’évaluation de l’impact afin que les services municipaux et les forces de police soient dotés d’une boucle de retours automatiquement intégrée aux nouveaux dispositifs.

A l’heure où les questions de sécurisation de l’espace public, d’attaques terroristes trop fréquentes et d’interactions tendues entre police et citoyen font tristement partie de notre actualité, cette dernière expérience d’enseignement m’a ouvert les yeux sur la complexité de la sécurité. Elle m’a surtout permis de réaliser à quel point cette notion se situe à l’intersection de multiples dimensions, toutes aussi significatives les unes que les autres, qu’il s’agisse des besoins humains, des valeurs éthiques, des devoirs démocratiques, de la vie urbaine, des normes environnementales ou des valeurs culturelles.


Quel est le rôle du design dans la protection des espaces publics ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées lors de sa mise en place ?

Laetitia Wolff : Si notre intention est de sécuriser les espaces publics urbains tout en garantissant qu’ils restent ouverts et accessibles à tous, le processus doit inclure des méthodes de conception centrées sur l’humain. Le design ne doit pas être une réflexion après coup ni être perçu comme un luxe dans la protection des espaces publics. Fondamentalement basé sur les besoins humains, la communication, le dialogue et le partage d’informations, le design génère différents types de solutions que l’ingénierie seule ne peut produire.

Non seulement le design affirme sa capacité à répondre aux besoins des utilisateurs, mais il a aussi ce formidable pouvoir de rassembler des points de vue multiples, de favoriser des perspectives, des savoir-faire et des professions transdisciplinaires, de ne pas laisser la conversation entre les mains d’une seule expertise technique verticale. Le design a ce potentiel de faire de la sécurité un sujet de conversation quotidien. La principale difficulté est de prendre précisément en compte ce temps et ce processus dans ce qui semble souvent être une décision technique, voire technologique, qui doit être prise rapidement.

Pensez-vous que les réflexions apportées par le design sont suffisamment intégrées lors de la mise en place d’un équipement sur l’espace public ?

Les réflexions qu’apporte le design sont multidimensionnelles : de la compréhension de l’usage à la définition de l’expérience d’un espace, de la psychographie à la symbolique, de la communication à la programmation architecturale. Cependant, les équipements de sécurisation, parce qu’ils répondent à des lieux et des moments de traumatisme, cherchent souvent des réponses rapides et visibles et ne sont pas suffisamment réfléchis comme partie intégrante d’une stratégie plus large de planification urbaine et d’engagement citoyen. En revenant à la capacité du design à traduire les besoins humains et à son potentiel d’intégration dans un cadre urbain spécifique avec une lisibilité accrue, nous pouvons plaider pour que le design soit appelé plus tôt, en amont, pour anticiper l’utilisation de nouveaux équipements.

Un des axes de réflexion est la gestion des comportements et mouvements de foule, quels projets développez-vous à ce sujet ?

Les étudiants ont tenté de trouver des solutions qui empêcheraient la « vision en tunnel » et le « phénomène de l’arche » qui créent généralement des « embouteillages » dangereux pendant les mouvements de panique. Ils ont cherché à concevoir des dispositifs de sécurité qui puissent être d’emblée reconnaissables et visibles et qui fluidifient le mouvement des personnes pour sortir des espaces publics. L’exploration des effets sonores et olfactifs, des projections d’eau, des codes visuels et, en particulier, de la lumière comme moyen de communication et d’orientation des foules dans le cadre de grands événements a été au cœur de leurs premières recherches.

Ils ont étudié les faisceaux lumineux, les parcours lumineux au sol, les portails lumineux à code couleur pour évacuer les foules, signaler les changements ou indiquer les sorties les plus proches. Ils ont pensé à un langage graphique universel et à des motifs qui faciliteraient la gestion des foules et pourraient être « attachés » à l’infrastructure existante. Ils ont fini par ramener la piste lumineuse à l’échelle du corps humain en mettant littéralement la sécurité dans les mains des citoyens pour permettre une signalisation immédiate. En conséquence, le bracelet Locate ME, particulièrement efficace la nuit, diffuse une lumière douce dans la foule lorsqu’on appuie sur l’un des deux boutons. En créant une luminosité, un problème dans une foule peut être immédiatement géolocalisé, ce qui déclenche une réaction plus rapide des forces de l’ordre.

Extrait du Project citiz, la deuxième partie du projet security by design des étudiants de la SDS (2021)

Nous avons trouvé très intéressante l’idée de la « Protective Furniture », le design d’un mobilier urbain qui pourraient être utilisé pour se cacher lors d’une éventuelle attaque. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Dans la typologie existante du mobilier urbain, des dispositifs de sécurité et de la gestion des événements, il y a un mélanges de solutions qui sont souvent « collées » pour créer une barrière – ce n’est pas beau, cela ne veut pas dire que c’est « sûr et sécurisé » et cela ne facilite pas non plus le travail des services municipaux et des forces de l’ordre.

Les barrières Shield Us proposées par les étudiants de la SDS simplifient les dispositifs de sécurité actuels (« panneaux d’occultation ») et créent une typologie plus standardisée d’objets qui peuvent également servir de surface de communication. Pliables et faciles à stocker, les barrières sont simples à installer, ce qui réduit le temps passé à préparer une zone événementielle délimitée. Réglables, elles peuvent être disposées de manière à briser tout angle rectangulaire lors d’un événement, répondant ainsi au « phénomène de l’arche », en fluidifiant par conséquent une éventuelle évacuation.

Vous explorez également l’idée de reconstruire la coveillance grâce à un sentiment de cohésion sociale. Pourriez-vous nous donner un exemple en matière d’espaces publics urbains ?

La coveillance est un concept qui emprunte à des travaux de psychosociologie réalisés il y a trente ans au Canada, et qui a pris un sens nouveau en relation avec l’omniprésence de la surveillance et des préoccupations en matière de libertés civiles et de hacking urbain. C’est être attentif aux besoins de l’autre ; en fait, moins un concept qu’un état d’esprit, c’est « faire ensemble » ce qui ne peut être fait seul, dans une dynamique de construction du lien social.

Quelles recommandations donneriez-vous aux autorités locales souhaitant mettre en place un équipement de sécurité sur l’espace public de leur municipalité ?

Il faudrait adopter d’abord une approche ouverte, transdisciplinaire et intersectorielle pour analyser et comprendre le problème – pas une approche descendante, ni purement technique, ni réservée aux experts. Considérez l’espace public comme une toile qui n’est jamais complètement blanche ou neutre. Commencez par comprendre le contexte et prenez-le en compte dans son intégralité : caractéristiques du site physique, histoire récente, récits des habitants, traumatismes, identité culturelle et marqueurs iconiques qui en font un espace mémorable. Observez comment les gens utilisent l’espace aujourd’hui avant de penser à ajouter des équipements demain – peut-être la réponse est-elle d’enlever des dispositifs, du mobilier urbain et des structures pour accroître sa lisibilité plutôt que d’en ajouter. Deuxièmement, réfléchissez en ayant à l’esprit une stratégie intégrée : la barrière physique est-elle complétée par une application ? La signalisation temporaire ou permanente est-elle un pendant du traitement de l’éclairage ? Peut-on tirer des enseignements des dispositifs événementiels pour mettre en place des solutions plus permanentes, et vice versa, puis induire des comportements collectifs ? Enfin, les équipements de sécurité doivent être pensés dans le cadre de considérations plus larges intégrées au design urbain, à la vie de la rue, aux destinations touristiques, à la représentation culturelle ; globalement, l’objectif doit être de susciter l’appropriation des villes par les citoyens.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur autrice et ne reflètent pas les opinions ou les vues de l’Efus.

A propos de l’autrice

Laetitia Wolff est consultante en design, stratège en ingénierie culturelle, commissaire d’exposition, et autrice passionnée par la construction de passerelles entre le design et la ville. Elle a lancé des programmes de design + justice sociale et des projets leaders de creative placemaking en se concentrant sur la gentrification urbaine, le racisme, le rôle des femmes, la sécurité publique et la transition écologique. Depuis 2019, elle dirige un cours en partenariat entre la Sustainable Design School de Nice (SDS) et le projet PACTESUR, introduisant une recherche-action expérimentale et une approche créative de la sécurité centrée sur l’humain (www.laetitiawolff.design). https://www.designville.co/)

Un grand merci aux étudiants de la SDS qui ont participé aux projets In/pact and Project Citiz, à Grant LINSCOTT, directeur d’étude, et à Maurille LARIVIÈRE, directeur de la SDS.

In/pact – Partie 1 (2019-20)
Étudiants en design : Mathieu ANDRIES ; Holly L. BARTLEY ; Maxime CHEF ; Julian COIFFARD ; Enzo JAMOIS ; Tarushee MEHRA ; Sacha NOUVIALE ; Arjun RAO ; Fanny RICCIARDI ; Matthew SLACK ; Stefani TAKAC ; Tristan TERRUSSE ; Nicolas THOMAS ; Agatha VERLAY.

Project Citiz – Part 2 (2021)
Étudiants en design : BAUDRAND Jules ; BENOUNA Ibrahim ; CARTAU Owen ; DUNAND Juliette ; DESREZ Romain ; JEAN Marine ; MANGOT Lola ; POIROT Pauline ; PHEULPIN Clément ; ROCHETEAU Noémie ; ROULANT Manon ; VIOT Baptiste ; WEBER Emma ; ZORTICH Eva.

A propos de PACTESUR

Le projet PACTESUR vise à renforcer les capacités des villes et des acteurs locaux dans le domaine de la sécurité des espaces publics face à la menace terroriste principalement, mais aussi contre d’autres risques inhérents à l’espace public. Le projet fédère décideurs locaux, forces de sécurité, experts de la sécurité urbaine, urbanistes, formateurs, artistes de différentes disciplines et autres professionnels afin d’élaborer à partir du terrain de nouvelles politiques locales de sécurisation des espaces publics en Europe face aux différentes menaces.

Les Publication Series de PACTESUR

Partenaire du projet PACTESUR, l’Efus coordonne l’édition du Publication Series, un recueil d’articles rédigés par le Comité consultatif d’experts et les villes du projet, afin de contribuer au débat européen sur la protection des espaces publics. Parce que les défis auxquels l’espace public est confronté sont en constante évolution, ce recueil se veut être un espace de réflexion et de discussion sur ces questions.

Contact :
Tatiana Morales, Chargée de Mission : morales@efus.eu
Martí Navarro Regàs, Chargé de Mission : navarroregas@efus.eu
Marta Pellón Brussosa, Chargée de Mission : pellonbrussosa@efus.eu