Le Royaume-Uni s’apprête à renforcer sa législation sur la protection des lieux publics contre le terrorisme

Paris, France, janvier 2022 – Comment les collectivités territoriales peuvent-elles s’adapter à l’évolution des menaces et des risques en matière de protection des espaces publics ? Avec le projet de loi Protect Duty, communément appelé Loi Martyn (Martyn’s Law), le gouvernement britannique cherche à définir une approche cohérente et proportionnée en matière de sécurité des « lieux accessibles au public ».1 L’experte PACTESUR Lina Kolesnikova explique en quoi la Loi Martyn affectera l’organisation et la gestion des événements. 

Quelles sont les principales dispositions de la Loi Martyn et pourquoi cette loi aujourd’hui ?

Le gouvernement britannique a entamé des consultations publiques sur un projet de loi relative au devoir de protection (Protect Duty) intitulée Loi Martyn en référence à Martyn Hett, l’une des 22 victimes de l’attentat contre le Manchester Arena en 20172. Ceci a lieu dans un contexte marqué par les récentes enquêtes sur des attaques terroristes à Londres (notamment l’attaque du London Bridge et du Borough Market) et à Manchester, et du débat public au Royaume-Uni concernant une réforme législative destinée à rendre les responsables de « lieux accessibles au public » à prendre en compte le risque d’attentat et à mettre en œuvre des mesures de protection du public. 

Bien que l’enquête sur l’attentat de Manchester soit toujours en cours, il a déjà été confirmé qu’un « cocktail fatal » de manquements à la sécurité ont contribué à rendre le Manchester Arena insécure la nuit où l’attentat a eu lieu. Il a été clairement montré que la police ne peut pas, seule, assurer la sécurité du public. 

À l’heure actuelle, au Royaume-Uni, les propriétaires de salles publiques (salles de concert, etc.) n’ont pas l’obligation de prendre des mesures contre d’éventuels attentats ou pour réduire les risques. On estime à environ 650 000 le nombre de lieux/salles susceptibles d’accueillir un grand nombre de personnes au Royaume-Uni, dont seulement environ 0,2% sont considérés comme prioritaires par les dispositifs publics de contre-terrorisme et bénéficient à ce titre d’un accompagnement d’experts. 

Existe-t-il des pratiques prometteuses en la matière au Royaume-Uni ? 

On peut signaler l’expérience locale de Leeds, notamment en ce qui concerne la phase de planification et de préparation3. Ainsi, un Safety Advisory Group (SAG, groupe consultatif sur la sécurité) se réunit avant chaque événement pour mettre au point une stratégie et un plan de communication, notamment pour réduire les impacts sur les riverains et faciliter la coordination entre les différents organismes concernés, afin que l’événement soit réussi et se déroule en sécurité. Le SAG travaille en partenariat avec les services d’urgence et les organismes de santé et de sécurité, et offre un soutien professionnel pour la planification relative à la sûreté et au welfare (le bien-être).

Quels sont les principaux aspects du projet de loi ? 

Si la Loi est votée, elle contribuera de manière significative à la Stratégie britannique de contre-terrorisme CONTEST4, qui a été promulguée en 2018. L’objectif principal de ce projet de loi est d’instaurer une approche cohérente et proportionnée de la sécurité, notamment la sûreté et la sécurité du personnel et du public qui fréquente ces salles et lieux. Les spécialistes de la sécurité insistent sur l’importance de la proportionnalité ici, car une approche ‘prêt-à-porter’ serait contre-productive, voire dangereuse. 

Le projet de loi Protect Duty comprend cinq éléments clés :

  1. L’évaluation des risques : Les espaces et les lieux ouverts au public pourront solliciter un conseil et des formations en matière de contre-terrorisme offerts gratuitement, notamment en ce qui concerne l’identification des risques.   
  2. L’évaluation des vulnérabilités : Il s’agit d’évaluer ces lieux pour identifier les points de vulnérabilité.  
  3. Plan de réduction des risques : Définition et mise en œuvre d’un plan de réduction des risques et des vulnérabilités, qui peut notamment comprendre la formation du personnel, pour les petites organisations, ou un ensemble plus important de mesures pour les espaces/lieux plus grands.  
  4. Plan de contre-terrorisme : Il sera exigé de ces lieux et de l’autorité locale qu’elles aient un plan clairement défini de contre-terrorisme.  
  5. Des formations plus complètes et des contrôles physiques, notamment la fouille des sacs.  

Les évaluations et les plans de réduction et de résolution sont cruciaux ici parce qu’ils nous permettent d’examiner quelles mesures les entreprises et les responsables d’événements pourraient mettre en œuvre pour répondre aux risques et vulnérabilités identifiés. 

Le projet de Loi Martyn comprend un plan en trois étapes intitulé « Guider, Abriter, Communiquer ». En quoi consiste-t-il ? 

Oui la Loi Martyn propose d’établir le principe de Guider-Abriter-Communiquer (Guide-Shelter-Communicate). Guider signifie diriger le public vers les lieux les plus appropriés. Ceci peut être une invacuation (regrouper les personnes dans un lieu fermé et protégé en cas d’urgence) ou bien une évacuation. Abriter signifie comprendre comment votre entreprise, votre salle de congrès/concert ou votre événement peut être bouclé et servir de refuge aux gens, pendant plusieurs heures. Communiquer signifie avoir les moyens de communiquer de façon efficace et rapide envers et avec les utilisateurs/consommateurs de votre entreprise, lieu ou événement, et que votre personnel soit capable de donner des instructions claires. Les responsables d’entreprises ou de lieux doivent aussi avoir les moyens de s’intégrer à une opération de riposte ou de secours et fournir des éléments d’information tels que les plans de l’immeuble ou du site et tout autre document utile. 

Quelles seront les conséquences de la Loi Martyn en matière de planification et de gestion d’événements ? 

Tout d’abord, on remarque que désormais, tous les lieux et événements publics sont considérés comme étant sous une menace permanente d’attentat terroriste. Tout lieu peut être attaqué, que ce soit dans les petites, moyennes ou grandes villes. La Loi Martyn prévoit ainsi que toutes les entreprises doivent évaluer la menace de terrorisme et prendre des mesures (analyse, planification, formation du personnel, etc.) De même, il convient de renforcer la collaboration entre les autorités et les entreprises locales (y compris les organisateurs d’événements et les propriétaires de salles de spectacle) pour réduire davantage les risques et les vulnérabilités. 

Comment la Loi Martyn affectera-t-elle les événements organisés dans les espaces publics ? 

Comme je l’ai dit, la Loi Martyn propose une approche proportionnée : pour les grandes salles de spectacle, une approche holistique sera requise qui comprendra l’évaluation des vulnérabilités, des plans de réduction des risques et des vulnérabilités et la mise en œuvre effective de ceux-ci. De même, ces mesures devront être constamment réévaluées et leur mise en œuvre doit être garantie, par exemple que les contrôles de sécurité soient bien effectués pendant toute la durée prévue. 

Comment les collectivités locales peuvent-elles s’adapter à l’évolution des menaces et des risques en matière de protection des espaces publics ? Le projet de Loi Martyn représente-t-il un progrès ? 

Absolument. Tout d’abord, plusieurs conseils municipaux ont déjà exprimé leur soutien total envers ce projet, notamment ceux de Manchester et de Londres. Les collectivités locales ont déjà un certain nombre de responsabilités depuis le Civil Contingencies Act (2004), qui requiert qu’elles établissent un Forum de la résilience locale (Local Resilience Forum, LRF). Il s’agit d’un partenariat multi-agences réunissant les services publics locaux, dont les services de secours, les autorités locales, le service national de santé National Health Service (NHS), l’Agence de l’Environnement, et autres. Cependant, les autorités locales n’avaient jusqu’à présent aucune obligation légale de prendre en compte la menace terroriste dans ces LRF et c’est seulement récemment qu’elles ont reçu des orientations en matière de contre-terrorisme. Avec la nouvelle loi, les LRF seront dans l’obligation de prendre en compte la menace terroriste dans leur plan local de réponse et de rétablissement. 

Les autorités locales doivent ainsi travailler en collaboration avec les responsables et entreprises de spectacles/événements afin de protéger les habitants. Elles jouent un rôle central dans la protection des espaces publics et contre les menaces terroristes à l’échelle locale. Elles doivent collaborer avec les responsables de salles ainsi d’un Partenariat pour la Sécurité des Habitants (Community Safety Partnership, CSP), qui réunit des représentants de la police, des autorités locales, des pompiers, des services de secours, des services de probation et du système de santé5.

De mon point de vue, la Loi Martyn peut favoriser des pratiques prometteuses, par exemple sur comment établir une culture de la sécurité ou sur les mesures à prendre pour améliorer la sécurité physique. Par ailleurs, les mesures doivent être proportionnées en termes de ressources, de coût et de gestion des risques, et de modalités de mises en œuvre dans divers types de lieux, de salles et d’entreprises. 

Lina Kolesnikova

À propos de l’autrice 

Lina Kolesnikova est consultante en relations internationales et en gestion de la sécurité, des risques et de crise à Bruxelles, Belgique. Elle est membre du comité consultatif du Crisis Response Journal (CRJ). Elle est membre de l’Institute of Civil Protection and Emergency Management (ICPEM) et représentante de l’ICPEM in Europe. Elle est membre du comité consultatif d’experts de PACTESUR depuis 2019.     

À propos de PACTESUR

Le projet PACTESUR vise à renforcer les capacités des villes et des acteurs locaux dans le domaine de la sécurité des espaces publics face à la menace terroriste principalement, mais aussi contre d’autres risques inhérents à l’espace public. Le projet fédère décideurs locaux, forces de sécurité, experts de la sécurité urbaine, urbanistes, formateurs, artistes de différentes disciplines et autres professionnels afin d’élaborer à partir du terrain de nouvelles politiques locales de sécurisation des espaces publics en Europe face aux différentes menaces.

About the PUBLICATION SERIES

Partenaire du projet PACTESUR, l’Efus coordonne l’édition du Publication Series, un recueil d’articles rédigés par le Comité consultatif d’experts et les villes du projet, afin de contribuer au débat européen sur la protection des espaces publics. Parce que les défis auxquels l’espace public est confronté sont en constante évolution, ce recueil se veut être un espace de réflexion et de discussion sur ces questions.

Contact :


1 Les « lieux accessibles au public » comprennent les centres commerciaux, les stades, les grandes surfaces, les gymnases, les parcs et les lieux de culte.

2 Le 22 May 2017, un terroriste a détonné une bombe artisale alors que le public sortait d’un concert au Manchester Arena à Manchester, faisant 23 victimes (dont lui-même) et 1017 blessés, y compris des enfants.

3 La Ville de Leeds est l’une des 11 Villes Associées du projet PACTESUR.

4 Stratégie britannique de contre-terrorisme (juin 2018), voir : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/716907/140618_CCS207_CCS0218929798-1_CONTEST_3.0_WEB.pdf

5 The United Kingdom’s approach to fighting crime, Community safety partnerships (CSPs), voir : https://www.gov.uk/government/publications/2010-to-2015-government-policy-crime-prevention/2010-to-2015-government-policy-crime-prevention#appendix-4-community-safety-partnerships