Avril 2021 – L’Efus a participé à une conférence européenne sur la prévention de la polarisation et de la radicalisation violente organisée conjointement (en ligne) par six projets financés par le Fonds sécurité intérieure de l’Union européenne, les 26-29 avril.L’Efus a participé à deux ateliers sur « les approches à partir des villes » (city-based approaches) en matière de prévention. Le premier était consacré au rôle des réseaux de villes pour renforcer une réponse coordonnée et la prévention et le second, qui était accueilli par le projet BRIDGE (Renforcer la résilience pour réduire la polarisation et la montée de l’extrémisme) mené par l’Efus, au rôle des collectivités territoriales dans l’évaluation, la prévention et la réduction de la polarisation.
L’approche « toute la société » contre la radicalisation
Le premier atelier a mis l’accent sur l’importance d’adopter une approche pluridisciplinaire, multi-acteurs et « toute la société » pour prévenir la radicalisation menant à l’extrémisme violent. Une série d’activités de sensibilisation et de programmes pédagogiques de mobilisation des jeunes a été présentée. L’Efus était représenté par Manuel Comeron, responsable de la prévention de l’extrémisme violent à Liège, ville présidente de l’Efus.
Lors du deuxième atelier, sur les approches à partir des villes, des représentants d’autorités locales et régionales et un psychologue ont partagé des orientations et des recommandations sur l’utilisation d’outils concrets pour mieux comprendre et surveiller les manifestations et les dynamiques de polarisation à l’échelle locale. Les participants ont présenté des stratégies pour prévenir et mitiger la polarisation et ainsi renforcer la cohésion sociale et la participation citoyenne.
Qu’est-ce que la polarisation ?
La polarisation peut être comprise comme un processus d’exacerbation des différences entre différents groupes de la société. Ce processus aiguise les tensions et favorise la pensée « eux et nous », l’hostilité envers le groupe « autre » et l’absence de dialogue et de coopération entre différents groupes de population. Les villes européennes sont directement touchées par les conséquences néfastes de la polarisation, qui peut mener à la radicalisation et à la violence extrémiste.
Le rôle des autorités locales
Les villes ont un rôle important à jouer dans la prévention et la réduction de la polarisation parce qu’elles sont bien placées pour comprendre les dynamiques locales et pour dialoguer directement les parties prenantes. Elles sont par nature proches de la population et ont donc les compétences, relations et connaissances de terrain nécessaires pour élaborer des stratégies de prévention efficaces et renforcer la cohésion sociale et la résilience des communautés locales.
Auditer la polarisation
Avant de mettre en œuvre une activité de réduction ou de prévention, il est essentiel d’avoir une vision claire des formes et des dynamiques de polarisation au sein d’une communauté donnée. Une telle approche permet aux autorités locales et aux acteurs locaux d’adapter et de cibler leurs actions et d’identifier les acteurs qu’il convient d’associer au développement, à l’élaboration et à la mise en œuvre de telles actions.
La pensée « à somme nulle »
Patricia Andrews Faeron, docteur et chercheuse à la faculté de Psychologie de l’Université de Cambridge, a présenté le « questionnaire pensée à somme nulle » (zero-sum mindset questionnaire) qui permet de récolter des informations empiriques sur les manifestations de polarisation à l’échelle des quartiers. La pensée « à somme nulle » considère qu’il y a toujours des gagnants et des perdants et que ce qu’un groupe gagne est nécessairement une perte pour l’autre groupe. Un système de pensée « à somme nulle » conçoit les relations comme fixes et conflictuelles entre groupes « opposés ». Cette attitude empêche toute forme de dialogue, affaiblit la confiance entre les différents groupes de population et alimente les tensions. Elle est à la fois une source et un symptôme de polarisation.
Aike Janssen, Conseiller politique à la Ville de Rotterdam, a présenté le Quick Scan que la ville utilise quatre fois par an, ou lors de certains incidents, pour cartographier le « paysage de sécurité » local. Quick Scan utilise diverses sources – entretiens avec des acteurs locaux, recherche en ligne, analyse des réseaux sociaux – pour informer les autorités municipales de la « température » de la ville en matière de sécurité. Ces informations nourrissent les politiques publiques et permettent à la municipalité d’identifier les quartiers où une intervention est nécessaire. Il est essentiel d’entrer directement en dialogue avec des membres des communautés locales qui puissent donner des informations de première main sur les dynamiques de polarisation à l’œuvre dans leur environnement. Il s’agit de personnes qui sont perçues par leur groupe comme des acteurs légitimes et qui peuvent jouer un rôle de modèle ou de « bâtisseur de pont ».
Établir des ponts et promouvoir le dialogue
Les activités culturelles et pédagogiques sont un moyen puissant et efficace d’établir des relations au sein de la communauté et d’impliquer les habitants sur les questions importantes. En favorisant un environnement partagé de découvertes et de divertissement, ce type d’activité peut rompre les barrières et les stéréotypes et ainsi réduire un phénomène local de polarisation.
Le département du Val d’Oise, représenté par Quentin Degrave, responsable de la mission sécurité au conseil départemental, utilise notamment une gamme d’activités culturelles et pédagogiques – réalisation d’un film, programme de théâtre-forum – pour améliorer les relations police-population. Il s’agit d’une problématique importante pour ce département où il y a de fréquents conflits entre les jeunes des quartiers défavorisés et la police.
La Ville de Louvain utilise l’approche de justice restaurative pour prévenir les situations qui pourraient faire le lit de la polarisation. Cette approche aborde les conflits en réunissant toutes les parties prenantes dans un environnement où elles sont en sécurité et où elles peuvent reconnaître le dommage causé et travailler ensemble pour le réparer. Ce type d’approche est particulièrement utile dans les situations de polarisation. La Ville de Louvain a l’intention de l’utiliser dans toute sa structure organisationnelle.
Échange entre pairs
Dialoguer avec les citoyens d’égal à égal favorise la confiance et le dialogue. Telle est l’idée qui inspire les Guides du Respect de Stuttgart : il s’agit de jeunes gens âgés de 18 à 30 ans qui dialoguent avec leurs pairs, ou d’autres citoyens plus âgés, dans les espaces publics. Les Guides du Respect représentent la diversité de la population de Stuttgart, avec des jeunes de différentes origines et aux parcours différents.
L’équipe actuelle compte 20 Guides du Respect qui parlent un total de 10 langues. Ces volontaires agissent pour favoriser des interactions pacifiques entre les citoyens et comme intermédiaires entre la municipalité et le public.
Une problématique encore insuffisamment explorée
Même si la polarisation existe, et même s’accroît dans les sociétés européennes et donc aussi à l’échelle locale, le projet BRIDGE a montré qu’il s’agit d’un phénomène encore peu exploré par de nombreuses municipalités européennes. Il est donc important que de nouveaux projets continuent à examiner les causes, manifestations et plateformes de polarisation, ainsi que les pratiques innovantes de réduction de celle-ci. Cela nous permettra de progresser dans notre approche de ce phénomène.
Jusqu’à présent, la plupart des projets de prévention de la radicalisation se focalisent sur la prévention primaire pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Cependant, les événements récents tels que l’attaque contre le Capitole à Washington et les nombreuses manifestations anti-Covid en Europe, ont montré que les adultes sont également affectés. Il est donc important de travailler sur cette catégorie de la population et d’élaborer des stratégies efficaces de prévention.
En conclusion, les participants sont convenus que la polarisation est un phénomène complexe, sensible et multiforme et que les approches de prévention efficaces doivent être pluridisciplinaires et mobiliser toute la société.
> Plus d’informations sur le projet BRIDGE
> Le projet BRIDGE tiendra sa conférence finale le 31 Mai (en ligne). Plus d’informations et inscription (gratuite) ici.