« Face au radicalisme, l’échange de pratiques et de connaissances entre villes européennes est très important » – Entretien avec Willy Demeyer, maire de Liège et président de l’Efus

La ville de Liège travaille depuis plusieurs années sur la problématique de la radicalisation, notamment au travers de projets européens portés par l’Efus.


Willy Demeyer 2018> Quels sont les enjeux et problématiques liés à la radicalisation à Liège ? 

Willy Demeyer : Même si Liège n’a pas été aussi affectée par la radicalisation que d’autres villes belges et européennes, nous avons néanmoins été confrontés aux jeunes qui partaient rejoindre les groupes djihadistes tels que Daech ou le Front Al-Nosra. Cela signifie que nous devons à présent gérer le problème des returnees (ceux qui rentrent des zones de combat).

Par ailleurs, en mai 2018, Liège a été la cible d’un attentat terroriste revendiqué par Daech, au cours duquel un individu radicalisé a tué deux policières et une personne qui circulait en voiture.

Enfin, l’idéologie radicale incitant à la violence se diffuse dans certains de nos quartiers, notamment via Internet, et cible une partie de notre jeunesse. Elle s’inspire notamment des théories du complot mais aussi du contexte géopolitique international sur lequel la mairie n’a aucune prise.

Les enjeux majeurs pour une collectivité locale comme la nôtre sont donc de préserver la sécurité et protéger la population d’un éventuel attentat tout en maintenant la cohésion sociale alors que celle-ci a tendance, actuellement, à se fissurer. Il s’agit également de garantir à tous une vie en commun de qualité, respectueuse de nos valeurs démocratiques.


> Quelles actions concrètes avez-vous mis en place en matière de radicalisme ?

Nous avons créé un poste de « référent prévention radicalisme » dès octobre 2014. Cet agent est chargé de mettre en place et de développer une vaste concertation avec tous les partenaires pertinents des secteurs social, jeunesse, interculturel et de la police. Ce responsable définit également, en concertation avec moi, notre stratégie locale et les actions de prévention qui en découlent.

Un certain nombre d’activités pédagogiques orientées vers les jeunes ont été mises en place ces dernières années :

  • la création d’outils de communication, notamment un film d’animation intitulé Toru réalisé par des jeunes et destiné à lutter contre la manipulation des mouvements extrémistes ;
  • une pièce de théâtre intitulée Nadia à laquelle 3 000 étudiants ont assisté. Il s’agit d’un partenariat avec le Théâtre de Liège encadré par des experts de l’Université et du Centre d’Intégration liégeois (Cripel) ;
  • prochainement, une démarche « sport citoyen » visera les clubs sportifs amateurs, lieu de mixité sociale par excellence, afin de lutter contre la polarisation sociale et promouvoir le vivre ensemble.

Nous organisons également des activités de sensibilisation pour le public, par exemple un film suivi d’un débat avec une mère de djihadiste ou un « café politique » sur les théories du complot. Nous y associons des institutions d’éducation permanente. Liège a la chance de bénéficier d’un maillage important et dynamique de maisons de jeunes et d’associations culturelles.


> Avez-vous des programmes de prise en charge des jeunes radicalisés et de leur famille ?

En effet, l’un des défis pour une autorité locale comme la nôtre est de répondre à la demande de prise en charge et de soutien des jeunes en voie de radicalisation et de leur famille. Une expérience très pointue est menée en collaboration avec le service de psychologie de la délinquance de l’Université de Liège, qui développe une méthodologie d’accompagnement psychosocial sous la forme d’une recherche-action intitulée « Psyrad ».

En parallèle, pour répondre à la demande du gouvernement fédéral, nous avons mis en place à Liège une Cellule de sécurité intégrale locale (CSIL) qui examine et traite les cas et situations au travers d’une coopération entre la police et les services de prévention, sous la coordination du maire.    


> Liège a participé au projet LIAISE (« institutions locales contre l’extrémisme ») porté par l’Efus. Quelles actions avez-vous mises en place dans ce cadre ? 

Étant donné la complexité de la problématique de la radicalisation, il est très utile de faire partie d’un réseau international d’échange de connaissances et de pratiques d’intervention afin de lutter au niveau local contre un phénomène à dimension mondiale.

Ainsi, dès 2014, le projet LIAISE a joué un rôle crucial pour nous au travers des formations de haut niveau organisées dans les villes partenaires du projet (Augsbourg, Bordeaux, Bruxelles, La Haye, Liège, Londres et Malmö). Cela nous a permis d’acquérir un bon niveau d’expertise et d’interagir avec des collègues d’autres villes européennes. Aujourd’hui encore, les actions que nous menons sur le terrain sont alimentées par les connaissances acquises dans le cadre de LIAISE.


> Quelles suites avez-vous donné au projet LIAISE, qui s’est achevé fin 2017 ?

Nous participons aujourd’hui au projet « Local voices », également porté par l’Efus, dont l’objectif est de développer des discours alternatifs à l’extrémisme en impliquant des jeunes porteurs d’un message positif.

Par ailleurs, comme d’autres villes membres de l’Efus, nous avons formé une dizaine d’éducateurs de terrain à la méthodologie Bounce destinée à renforcer la résilience des jeunes aux messages extrémistes, notamment en consolidant leur estime de soi et en leur apprenant à gérer les conflits pacifiquement.


> Participez-vous à d’autres projets européens ?

Liège collabore avec le Radicalisation Awareness Network (RAN), un réseau multidisciplinaire d’experts soutenu par l’Union européenne, et avec le Strong Cities Network, un réseau mondial au sein duquel nous avons un échange particulièrement instructif avec des villes américaines.

Par ailleurs, nous envisageons de participer à un projet européen sur la problématique du lien entre le hooliganisme dans le football et l’extrémisme violent.


> Quels conseils donneriez-vous à d’autres collectivités qui ont des enjeux et problématiques similaires aux vôtres ?

Il est difficile de donner des conseils sur un sujet aussi complexe.

Je dirais que la première chose à faire est d’établir une structure dédiée au sein des services de prévention, ce qui permet de travailler sur la problématique de la radicalisation de façon quotidienne et d’avoir un point de contact permanent. Cela dit, il n’est pas nécessaire de mettre en place de nouvelles structures car on peut utiliser pour le radicalisme des mécanismes qui existent déjà, tels ceux pour la prévention de la violence chez les jeunes, l’insertion sociale ou l’intégration culturelle. Le rôle de la municipalité est de faciliter les partenariats locaux, d’impulser des actions et d’apporter une expertise aux intervenants locaux.

Le radicalisme est une problématique anxiogène et à forte charge émotionnelle. Face à cela, il faut garder la tête froide et inscrire les actions dans la durée en veillant à bien sélectionner les experts extérieurs qui vont travailler avec nos professionnels locaux. Il est important de créer des connections sur le plan local et national, mais aussi avec les autres villes européennes afin d’établir des ponts là où (parfois) d’autres envisagent de construire des murs.


>>> En savoir plus sur les projets LIAISE, Local voices, Bounce
>>> Site web de la ville de Liège