Mitiger la polarisation : les enseignements de l’approche de justice restaurative par Tim Chapman, expert auprès du projet BRIDGE

Comme le virus du Covid-19, la polarisation est le produit de notre interconnexion globale. Elle reflète également les déconnexions au sein de la société – l’accès inégal au pouvoir et aux richesses et la  marginalisation et l’oppression de certains groupes de personnes. Toutefois, la pandémie a également généré un grand élan de compassion, de respect et de solidarité. La justice restaurative a évolué et répond à la déconnexion sociale en activant des qualités humaines positives telles que le respect de la dignité humaine et la solidarité avec les autres. C’est une approche inclusive qui cherche à répondre aux préjudices ou au risque de préjudice en engageant le dialogue avec toutes les personnes affectées afin d’aboutir à une compréhension commune et un accord sur la façon de réparer un préjudice, de maintenir les relations et d’instaurer la justice.

Je suis originaire d’Irlande du Nord, une société profondément polarisée par un conflit qui a duré des siècles. Les causes et la nature de ce conflit sont elles-mêmes controversées. Mais on peut dégager de ce conflit un schéma qui peut apporter des enseignements à d’autres pays. La polarisation entre différents groupes sociaux est souvent liée aux injustices. Lorsque la politique parlementaire ne s’attaque pas à ces injustices, il y a des protestations qui, si elles sont réprimées ou ignorées, peuvent dégénérer en violence. En Irlande du Nord, de nombreuses personnes sont mortes, leurs familles endeuillées, et les communautés locales ont hérité d’une injustice qui perdure encore aujourd’hui.

Emeutes de rue à Belfast.

L’approche restaurative considère que la polarisation menace les valeurs d’une société solidaire, paisible et démocratique. La séparation des personnes peut les mener à considérer les autres groupes comme un risque à la sécurité ou des adversaires dans la compétition pour les ressources telles que l’emploi ou le logement. À Belfast, on a construit des murs élevés pour créer une certaine sécurité au sein des communautés antagonistes. Mais cela nourrit l’extrémisme et la haine. Comme l’a écrit la philosophe politique germano-américaine Hannah Arendt : « Le totalitarisme fait appel aux très dangereux besoins émotionnels des personnes qui vivent dans un isolement total et dans la peur les unes des autres ».

L’approche restaurative ne considère pas les personnes comme étant le problème. Le problème, c’est le préjudice causé par la polarisation. Les personnes appartenant aux groupes sociaux polarisés sont la ressource qui permet de travailler pour arriver à une solution. Au lieu de les maintenir séparés, l’approche restaurative les réunit dans un dialogue, dans le but de comprendre le problème à partir de tous les points de vue et d’ouvrir un chemin pour aller de l’avant. Lorsqu’un crime de haine se produit, le système de justice pénale inclut toutes les personnes affectées et impliquées dans l’événement nuisible. Il s’agit des victimes et de leurs proches et des coupables et de leurs proches.

Leur communauté d’appartenance peut être non seulement victimisée par le crime mais aussi en partie responsable du préjudice. Les passants qui n’interviennent pas lorsque l’événement se produit peuvent causer plus de mal à la victime que l’auteur du crime. Pour le philosophe italien Roberto Esposito, la communauté n’est pas formée par une identité commune mais par les obligations que nous avons les uns envers les autres. Les identités polarisées sont « une perversion de l’idée de communauté et l’inverse de celle-ci, une communauté qui érige des murs plutôt que de les abattre ».

Les « murs de la paix » à Belfast.

La justice restaurative permet aux personnes de construire ou de réparer une communauté après un incident nuisible. Cela peut se faire au travers de « cercles restauratifs » ou de conférences où les participants sont encouragés à raconter leur expérience, exprimer leurs sentiments et leurs points de vue, et à s’écouter et se questionner les uns les autres de façon sûre et respectueuse. Un cercle restauratif est un processus de communication non-hiérarchique où chaque participant s’assoit en cercle et parle à son tour, sans interruption.

Le projet BRIDGE prévoit d’utiliser le théâtre et la vidéo pour engager le dialogue avec des jeunes marginalisés du Val d’Oise (France), dans le but de réduire les tensions qui les opposent à la police. À Louvain (Belgique), le maire et diverses organisations municipales, privées et de la société civile sont en train de développer des réseaux, des stratégies et des processus qui composeront la Ville Restaurative (Restorative City). Cette initiative permettra de maintenir la cohésion sociale et de répondre de façon effective à tout conflit social risquant d’exacerber la polarisation.

Pour résumer, la justice restaurative permet de mitiger la polarisation en développant le respect pour la dignité humaine, la solidarité et la responsabilité envers les autres, le dénouement de l’injustice, et le dialogue entre les personnes. 

Recommandations

La théorie de la justice restaurative et l’outil des cercles ou conférences restauratifs peuvent être utilisés par les collectivités – avec le soutien d’acteurs pertinents – pour contrer les inégalités structurelles et mitiger la polarisation.


Tim Chapman

Collaborateur de longue date de l’Efus, Tim Chapman est Professeur invité à l’Università degli Studi di Sassari en Sardaigne. Il a été maître de conférence à l’Université de l’Ulster en Irlande du Nord entre 2002 et 2019 pour le programme de Master en Pratiques Restauratives. Tim a contribué au développement de la pratique de la justice restaurative dans le secteur public et à l’échelle communautaire en Irlande du Nord. Il a également travaillé pendant 25 ans dans le Service de Probation d’Irlande du Nord. Il a joué un rôle clé dans le développement d’une pratique de probation effective au Royaume-Uni, notamment en publiant Evidence Based Practice (« la pratique fondée sur les données probantes »), ouvrage qu’il a écrit conjointement avec Michael Hough et qui a été publié par le Home Office. Son modèle « Time to Grow » (« le moment de grandir ») pour la surveillance des jeunes a influé sur les pratiques de justice juvénile, notamment en Écosse.

Tim Chapman a publié de nombreux articles et ouvrages sur la justice restaurative et les pratiques efficaces et a mené une recherche approfondie sur la justice restaurative en Irlande du Nord, notamment le projet ALTERNATIVE sur la justice restaurative et les conflits interculturels. Deux livres ont récemment été publiés sur cette recherche. En 2015, Tim Chapman a co-écrit avec Maija Gellin et Monique Anderson A European Model of Restorative Justice with Children and Young People (« Un modèle européen de justice restaurative avec des enfants et des jeunes », publié par l’Observatoire International de Justice Juvénile, OIJJ). Il est aussi président du Forum Européen pour la Justice Restaurative.

Laisser un commentaire