Paris, France, avril 2020 – La Plateforme de la Vie Nocturne, dont l’Efus est membre, a publié récemment son guide méthodologique Politique publique et Vie nocturne : Gouvernance et Participation. Fondé sur les expériences de quatres villes membres de l’Efus, Bordeaux, Liège, Nantes et Paris, il a pour objectif d’aider les villes à développer une politique transversale de la nuit en coproduction avec les citoyens. Retour sur la genèse de ce guide avec Denis Tallédec, directeur du collectif Culture Bar-Bars, partenaire de l’Efus sur les questions de vie nocturne depuis plusieurs années.
> Le collectif Culture Bar-Bars coordonne la Plateforme de la Vie Nocturne depuis sa création en 2017. Quels sont ses objectifs ?
La Plateforme de la Vie Nocturne réunit différents types de membres : des collectivités territoriales comme Bordeaux, Liège, Nantes, Paris, Saint-Nazaire et Toulouse et d’autres acteurs concernés par la vie nocturne comme le ministère de la Culture, des fédération d’élus, mais aussi des syndicats de l’hôtellerie et de la restauration, des mutuelles, des collectifs de riverains et des structures de prévention des risques et d’intervention dans les quartiers populaires.
La Plateforme se fonde sur une approche transversale et globale de la vie nocturne à partir des expériences croisées des usagers citoyens, des professionnels et des pouvoirs publics. Elle examine tous les phénomènes liés à la vie nocturne, au-delà des habituels conflits d’usage : sécurité et prévention, dimension économique, culturelle, sanitaire, etc.
> Quels sont les enjeux de sécurité spécifiques à la vie nocturne ? En prenant en compte ces spécificités, quels sont les principaux défis identifiés au moment d’établir une politique de la nuit dans une ville ?
On observe différents phénomènes en France, en Europe et à l’international liés à une hyper-métropolisation de notre société qui engendre des concentrations de publics dans l’espace urbain. Il y a notamment un enjeu de réappropriation de l’espace public par les plus jeunes qui vont aujourd’hui faire la fête sur l’espace public alors qu’ils étaient auparavant plus centrés sur l’espace privé. On observe ainsi de nouveau comportements : les jeunes sont très nomades, ils se retrouvent dans un appartement, puis ils peuvent aller dans un bar et ensuite dans un lieu de concert. Ceci engendre des conflits d’usage et on se retrouve également face à des phénomènes de polyconsommation (binge drinking, etc).
À cela s’ajoute l’inégalité de l’offre selon les différents quartiers. En effet, dans la plupart des villes, l’offre de vie nocturne festive est très concentrée dans certains quartiers seulement, généralement au centre-ville, ce qui pose la question des transports, de l’équité d’accès et de la grande disparité des catégories sociales concernées, notamment dans les quartiers populaires. Comment propose-t-on alors une offre de service public et privé dans ces quartiers ? Se pose aussi alors la question de l’urbanisation : faut-il se concentrer sur des quartiers dits de destination ou avoir une politique diffuse de la vie nocturne sur l’ensemble de la ville ? Quels sont dans ce cas les accompagnements de sécurité ? Centraliser l’offre c’est avoir plus de monde sur certaines zones, ce qui engendre des problématiques de sécurité spécifiques liées à la concentration des noctambules dans des espaces réduits et à la présence de « prédateurs » qui ciblent ces lieux.
Par ailleurs, nous sommes tous de plus en plus « nomades », en particulier avec l’essor du tourisme de week-end dans les villes européennes et des vols low cost. Mais les habitants des villes qui reçoivent ces touristes demandent qu’ils comprennent leurs us et coutumes et les respectent. Il ne s’agit donc pas de normer uniformément la vie nocturne dans les différents pays et villes, mais plutôt d’accompagner les villes en fonction de leurs propres culture et modes de vie locaux. Il faut aussi veiller à ce que les touristes soient considérés comme des citoyens temporaires des villes qu’ils visitent, c’est-à-dire avec les mêmes droits et devoirs que les citoyens-résidents.
> La Plateforme de la Vie Nocturne a publié récemment son guide méthodologique Politique publique et Vie nocturne : Gouvernance et Participation. Quels sont les objectifs de ce guide, et comment a-t-il été élaboré ?
Ce guide part du constat qu’on a vu apparaître ces dernières années de plus en plus de Conseils de la Nuit dans les villes. À la différence des Maires de la Nuit qui sont des représentant nommés ou élus d’une catégorie professionnelle du monde de la nuit et sont reconnus dans leurs liens à la puissance publique, les Conseils de la Nuit ont pour objectif de réunir l’ensemble des citoyens, des acteurs et puissances publiques touchés par la question de la vie nocturne sur un territoire déterminé. Ils constituent la pierre angulaire d’une approche transversale de la politique de la nuit.
Il en existe un certain nombre en France mais aussi ailleurs en Europe, à l’exemple de Bruxelles, Liège ou Rotterdam, et beaucoup de collectivités ont fait appel à la Plateforme de la Vie Nocturne pour solliciter des échanges d’expérience. L’idée était donc de créer un outil sur lequel elles pourraient appréhender la méthodologie de mise en oeuvre d’un Conseil de la Nuit sous différentes formes. Quatre exemples ont été repris de Conseils de la Nuit récemment installés dans les villes de Bordeaux (FR), Liège (BE), Nantes et Paris (FR) avec l’apport des coordonnateurs sécurité et des élus qui ont élaboré et comparé ces outils. L’idée était de nourrir ces villes de ces différentes expériences, en mettant en avant les convergences mais aussi les divergences.
> La coopération entre élus et associations occupe une partie importante de ce guide. Quels sont selon vous les avantages d’une telle démarche ?
Cette coopération s’inscrit dans la genèse de la plateforme, née de l’idée d’une transversalité et de la construction d’une culture commune. S’entendre sur l’existant en créant une photographie et en dresser les enjeux, et pouvoir ensuite en décliner les hypothèses d’action et les évaluer, c’est éminemment politique.
> De nouvelles initiatives de gouvernance de la nuit fleurissent partout en Europe. Quel est le potentiel du guide publié par la Plateforme de la Vie Nocturne pour élargir les démarches des villes vers de nouvelles méthodologies ?
Ce guide est une pierre de plus à l’édifice. Il a pour vocation de nourrir les initiatives locales en favorisant l’échange d’expériences et en présentant un certain nombre d’initiatives. On est seulement au début du processus. Aujourd’hui, la question est de savoir si on arrive à mettre plus de cohérence dans les politiques publiques à l’échelle d’un territoire. De manière subsidiaire, il s’agit de voir comment les différentes strates de la puissance publique travaillent ensemble, par exemple comment l’État coopère avec les villes sur la question de la prévention de la délinquance. L’enjeu est de mettre plus de cohérence et de décloisonner les politiques publiques. Si on se contente de mettre en place un Maire de la Nuit on ne conçoit la vie nocturne qu’au travers de son offre “clubbing” et des conflits que cela peut poser avec riverains. Mais ce n’est pas une vision de ce que de doit être la vie nocturne de demain pour nos villes dans un esprit d’équité. Désire-t-on des villes 24/24 ou d’autres modèles avec une vie nocturne plus diffuse ? La Plateforme de la Vie Nocturne n’a pas la réponse, mais pose les enjeux pour faire prendre conscience aux élus et aux techniciens qu’on ne fait pas de développement touristique sans appréhender les questions sanitaires, de prévention, de sécurité et d’organisation spatiale de la cité.
> L’Efus travaille sur la thématique de la vie nocturne de longue date, notamment avec les villes de Paris, Bordeaux et Liège qui sont citées en exemple dans le guide. Pouvez-vous tirer un bilan des avancées constatées dans ces villes ?
En termes d’action, on constate l’émergence d’initiatives différentes en fonction des villes, et qu’elles ont profité des échanges d’expériences facilitées par la plateforme. Des expériences ont été reprises et réinventées dans d’autres villes en fonction de leur singularité. Mais on rencontre aussi des freins, la question de la transversalité n’est pas simple et cette dynamique s’inscrit dans le temps. On s’aperçoit que les villes sont des espaces d’échange et de co-construction très puissants. Les citoyens comme les professionnels s’entendent à dire que ce sont des espaces éminemment importants car jusqu’à présent il n’y avait pas de lieux sur lequel on pouvait poser la question de la vie nocturne dans sa globalité.
> Après la sortie du guide, quels sont les nouvelles étapes envisagées par la Plateforme pour promouvoir ses recommandations ?
Le guide n’est pas inscrit dans le marbre, il tend à agréger les expériences et il va probablement s’enrichir à travers différentes versions. On voit aujourd’hui que la question de la vie nocturne devient un champ de politique publique à part entière dans les collectivités et de nouvelles initiatives sont mises en place au quotidien.
> Envisagez-vous d’élargir la Plateforme de la Vie Nocturne au-delà de la France, à d’autres villes ou pays européens ?
La Plateforme est effectivement avant tout une initiative française, mais elle a agrégé au fur et à mesure un certain nombre d’acteurs européen. Nous sommes par exemple en train de monter un comité scientifique avec des universitaires de différents champs disciplinaires, notamment des géographes, des sociologues, des juristes, pour croiser les recherches universitaires sur ces questions avec les expériences et les regards de la puissance publique et des professionnels. Ce réseau amène une plus value internationale avec des chercheurs du monde entier.
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