« Une communication publique efficace donne de la clarté et renforce la résilience » Entretien avec Isabella Abrate, experte du projet PACTESUR

Paris, France, mai 2021 – Lors d’une situation de crise, qui est généralement synonyme de confusion et de doutes, les autorités locales doivent donner aux citoyens des informations et des directives claires. Une communication claire, cohérente et efficace est essentielle pour rassurer les citoyens, non seulement pour les informer des décisions prises pour faire face à la crise, mais aussi pour réduire l’impact social de la crise. Pour ce faire, les autorités locales ont besoin d’outils, de connaissances et de compétences spécifiques. Membre du Comité consultatif d’experts de PACTESUR, Isabella Abrate explore les défis de la communication de crise, notamment en ce qui concerne les espaces publics.

Dès qu’une urgence survient, la communication est essentielle. Comment les autorités locales peuvent-elles élaborer un plan de communication clair, cohérent et efficace ?

La communication est un « processus social de partage des connaissances » qui permet aux autorités locales d’échanger des informations de manière claire et compréhensible avant, pendant et après une crise.

Une stratégie de communication bien définie permet non seulement de préparer les acteurs concernés à faire face à une situation d’urgence mais aussi de renforcer la confiance des citoyens et de les sensibiliser aux risques inhérents à l’espace public. À long terme, cette sensibilisation contribuera à promouvoir les valeurs sociales et les bons comportements et amènera des changements (cognitif – approche du problème, en action – comment se comporter, et valeurs – ce en quoi nous avons confiance et croyons).

Il est nécessaire d’élaborer un plan de communication pour garantir que tout se passera aussi bien que possible, en réduisant au maximum les effets négatifs. Ce plan peut être divisé en trois phases : la pré-crise, la réponse à la crise et l’après-crise.

  1. Pré-crise (planifier et organiser) : Avant une crise, il est nécessaire d’identifier et de définir les objectifs (sauver des vies, prévenir une catastrophe, éviter la panique) et de clarifier les rôles, les responsabilités et les ressources. En un mot, il s’agit de planifier les actions à prendre, quand, par qui et avec quelles ressources ou apports.
  2. Pendant la crise (superviser et gérer) : Lorsqu’une crise survient, les autorités locales doivent réunir des informations, en vérifiant soigneusement les faits et les chiffres. Les messages doivent être simples, courts et visuellement clairs. Ils doivent être répétés/affichés lorsque des informations non officielles apparaissent. Ils doivent être publiés via des plateformes bien établies et efficaces (plateformes de médias sociaux ou applications spécifiques).
  3. Après la crise (prévoir et coordonner) : Après une crise, une communication de suivi est nécessaire. L’objectif est de développer la résilience et de restaurer la confiance du public. À ce stade, les autorités locales peuvent commencer à rédiger une première évaluation d’’impact : quelles sont les conséquences, les dommages et les leçons apprises.

Comment les autorités locales peuvent-elles assurer une circulation fluide de l’information entre les acteurs locaux et les autres parties prenantes (y compris les opérateurs privés) avant, pendant et après une crise ? 

Avant une crise, il faut bien définir les tâches et les responsabilités. Les citoyens ont besoin de savoir ce qu’ils doivent faire et où ils doivent aller. Les autorités locales doivent se concentrer sur l’organisation interne (communication interne) et l’information (communication externe) afin de :

  • Éviter la diffusion d’informations non confirmées ou peu claires.
  • Définir les priorités et les urgences que les acteurs locaux veulent partager.
  • Sélectionner les informations pertinentes et les diffuser le plus rapidement possible afin de ne pas perdre de temps.
  • N’utiliser qu’un seul compte social/une seule plateforme/un seul canal officiel pour diffuser les informations clés. Il est important que seules les autorités compétentes soient habilitées à publier des informations afin d’éviter les fake news.

Parfois, une communication publique peut générer des sentiments et des comportements négatifs, tels que la peur, la panique ou la colère. Comment les autorités locales peuvent-elles mieux communiquer lorsqu’une urgence se produit ? 

Une communication publique efficace donne de la clarté, renforce la résilience et catalyse les changements positifs. Les autorités locales manquent parfois de capacités pour reconnaître les sentiments des gens ou faire preuve d’empathie, alors qu’il est essentiel de rassurer les gens en cas de crise. Il est donc essentiel d’élaborer des formations pour les autorités locales et les opérateurs sur le terrain afin de mieux communiquer lorsqu’une urgence survient. Afin d’instaurer la confiance, il est également important que la personne qui communique soit déjà connue et respectée du public, comme par exemple un élu local ou un chef de la police. 

Pendant la phase de réponse, on a peu de temps pour réfléchir. C’est pourquoi les stratégies de communication et les procédures d’urgence doivent être bien définies avant qu’une crise ne survienne. Tandis que les procédures d’évacuation facilitent l’accès des services de secours, la communication doit guider les civils vers les issues de secours et éviter (autant que possible) la confusion. 

Comment les autorités locales peuvent-elles améliorer la communication officielle dans la gestion des urgences et des crises ? Avez-vous un exemple précis ?

[Example of the lessons learned in terms of communication crisis management after the Piazza San Carlo incident]

Il existe une forte corrélation entre « communication » (définie comme accès, partage, ouverture, écoute, service) et « citoyenneté » (participant du bien commun). Le processus de communication génère une valeur partagée pour tous les acteurs concernés, c’est-à-dire une valeur pour toutes les parties impliquées. Dans les situations d’urgence et de crise, chaque partie prenante joue un rôle. Les institutions municipales et les médias doivent coopérer pour transmettre un message utile et constructif au public. 

Je crois que la communication est aussi une occasion qui favorise la participation des citoyens. Elle est synonyme d’inclusion. Elle signifie une plus grande responsabilisation de la communauté (pas seulement des autorités locales), la valorisation des ressources clés (connaissances, espaces urbains) et la collaboration entre tous les niveaux et toutes les personnes impliquées. Elle conduit à la proactivité et à la sensibilisation, non seulement du haut vers le bas (des institutions vers les citoyens) mais aussi entre les citoyens eux-mêmes.

L’utilisation des réseaux sociaux a changé le paysage de la communication de crise. Quels sont les principaux avantages et défis de leur utilisation par les collectivités locales en cas de crise ?

Il y a plusieurs défis. En cas de panne d’électricité ou d’Internet, les autorités locales ne peuvent évidemment pas utiliser les réseaux sociaux. La barrière de la langue peut également poser problème, en particulier en ce qui concerne les touristes. Cela peut aussi être un défi pour les personnes âgées qui ne sont peut-être pas habituées à la technologie ou pour les personnes qui n’ont pas de smartphone. Parce qu’ils sont ouverts à tous, les réseaux sociaux peuvent contenir  des informations utiles aux malfaiteurs. Par ailleurs, il est possible qu’une personne en état de choc ou de panique n’ait pas l’instinct de consulter les réseaux sociaux pour chercher de l’aide.

L’utilisation des réseaux sociaux présente aussi des opportunités pour les autorités locales. Ils peuvent être utilisés pour transmettre rapidement  des informations détaillées à un très grand nombre de personnes (si l’application est bien conçue), ce qui est essentiel en cas de crise. Ils peuvent également signaler la zone de danger, ce qui peut rassurer tous ceux qui ne se trouvent pas à proximité. Les réseaux sociaux sont également des outils très efficaces pour communiquer avec les jeunes, parce que ce public utilise beaucoup ces outils de communication. 

La stratégie de médias sociaux de l’Agence danoise de gestion des urgences (DEMA) est un bon exemple. Susanne Diemer, experte de PACTESUR, a récemment expliqué que leur compte officiel Twitter a adopté un hashtag spécifique, #kriseinfodk (« information de crise Danemark »). La DEMA utilise Twitter pour partager des informations et des recommandations clés lors de situations d’urgence et de catastrophes majeures, inondations, incendies ou explosions. Ils fournissent également des recommandations simples pour la vie quotidienne, par exemple en cas de mauvais temps. Les informations sont publiées en danois et en anglais pour faciliter l’accès de tous. 

Après la crise, comment la communication peut-elle contribuer à atténuer les conséquences ?

C’est ce que j’appelle la « phase de la responsabilité », lorsque toutes les parties concernées doivent coopérer pour transmettre un message positif de manière constructive et collaborative. La communication post-crise vise à rassurer la population et à faire le point sur la situation actuelle et la manière dont la crise a été gérée. 

C’est un moment où les autorités locales communiquent sur des événements sensibles et traumatisants et donnent des conseils et une assistance face aux difficultés, tout en restant attentives aux opportunités positives que la vie offre, sans exclure qui que ce soit. Elles renforcent la résilience sociale. Il faut également développer une culture de la responsabilité et de la prévention afin d’impliquer les citoyens dans ce processus. Les citoyens doivent être conscients de  la complexité sociale et organisationnelle requise en cas d’urgence et doivent comprendre qu’ils doivent avoir une approche proactive dans la gestion de crise.

Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions ou les points de vue de l’Efus.

Footnote

1 Un exemple est l’application BE-Alert, un système d’alarme développé par le Centre de crise belge qui permet au gouvernement d’informer les citoyens dans une situation d’urgence. Présentée lors de l’Atelier de gouvernance locale de Liège, l’objectif de l’application est de communiquer un message uniforme et clair depuis une source officielle pour atteindre rapidement le plus grand nombre de résidents possible : https://www.be-alert.be/en/what-be-alert

2 Diemer, Susanne, Comment les citoyens peuvent-ils mieux se préparer face aux menaces dans l’espace public ?, Entretien, Publication Series, PACTESUR, novembre 2 020


A propos de l’autrice

Isabelle Abrate est conseillère et formatrice en communication de sécurité. Elle a 20 ans d’expérience dans le domaine de la communication sur les questions de santé, de sécurité et d’environnement. Elle est spécialisée dans le développement de plans de communication, de compétences en leadership, d’outils concrets et de formations sur le terrain. Elle est également coach certifiée en matière de sécurité et formatrice certifiée sur les outils basés sur le modèle D-I-S-C pour les styles comportementaux. Elle est membre du Comité consultatif d’experts de PACTESUR depuis 2019.

A propos de PACTESUR

Le projet PACTESUR vise à renforcer les capacités des villes et des acteurs locaux dans le domaine de la sécurité des espaces publics confrontés aux menaces, entre autres, terroristes. A travers une approche ascendante, le projet fédère décideurs locaux, forces de sécurité, experts de la sécurité urbaine, urbanistes, développeurs informatiques, formateurs, designers et autres professionnels afin d’élaborer de nouvelles politiques locales européennes pour sécuriser les espaces publics contre le risque d’attentat terroriste.

Contact:
Tatiana Morales, Chargée de Mission : morales@efus.eu
Martí Navarro Regàs, Chargée de Mission : navarroregas@efus.eu
Marta Pellón Brussosa, Chargée de Comm : pellonbrussosa@efus.eu

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