Comment améliorer la gestion intégrée des risques et la coopération en matière de protection des espaces publics ?

Paris, France, février 2022 – Comment améliorer la gestion intégrée des risques et la coopération en matière de protection des espaces publics ? Nous avons posé la question à Yves Van de Vloet, chercheur associé de PACTESUR et responsable à l’Efus du projet ALARM sur la coopération France-Belgique en matière de protection civile.

Le projet ALARM, qui s’est achevé en septembre 2021, avait pour objectif de développer une coopération transfrontalière opérationnelle en matière de gestion de crise et de sécurité au quotidien entre les acteurs de la sécurité civile de la zone frontalière entre la France et la Belgique. Le projet PACTESUR vise à sécuriser les espaces  publics urbains face à des menaces évolutives tout en maintenant leur caractère ouvert et accessible à tous. 

Deux projets européens, ALARM et PACTESUR, dont l’Efus est partenaire, examinent la gestion intégrée des risques et la coopération en matière de protection des espaces publics. Quels sont les liens entre ces deux projets ?

Financé par le programme Interreg France-Wallonie-Flandres de l’Union européenne (UE), le projet ALARM (2016-2021) s’inscrivait dans le cadre de la coopération transfrontalière franco-belge à différents niveaux (analyse des risques, planification, gestion de crise) et sur un large éventail de risques. Il réunissait 26 partenaires. 

La coopération transfrontalière franco-belge
Dense en population et en industries minière, sidérurgique et verrière, le territoire transfrontalier franco-belge est source de risques depuis le XIXème siècle.  Avec 620 km de frontière commune, la France et la Belgique sont concernées par la présence sur leur territoire de sites, de moyens de transports, de cours d’eau susceptibles d’engendrer des accidents majeurs et des catastrophes. Notamment, il existe dans cette région de nombreuses installations industrielles, dont des usines Seveso, c’est-à-dire classées comme présentant des risques d’accident majeur, des gares de triage recevant des transports de matières dangereuses, des grands axes de communication routiers, ferroviaires, des canaux, et deux centrales nucléaires (Graveline et Chooz). À ces risques industriels s’ajoutent des risques naturels dont les inondations, les glissements de terrain et les cavités souterraines. 

Face à ces risques partagés des deux côtés de la frontière (les risques de pollution chimique, d’inondation ou de submersion marine…), les porteurs du projet ALARM dont les élus locaux belges et français se sont inscrits dans une approche anticipatrice basée sur 2 axes : la gestion intégrée des risques et la coopération opérationnelle au quotidien.

1. La gestion intégrée des risques 

Le premier objectif a été de mettre en place une gestion intégrée des risques naturels,  technologiques et humains de part et d’autre de la frontière. Concrètement, il existe une plateforme « Géo-Alarm » qui répertorie les sites à risques et inclut la nature des risques, le potentiel d’extension géographique atteint en cas d’accident, les populations concernées et les moyens matériels et humains que peuvent engager les secours de part et d’autre de la frontière (auto-échelles, moyens spécialisés tels ceux nécessaires en cas d’accident chimique, inondations, éboulements, déraillement de trains…).

Le projet ALARM a ainsi élaboré un inventaire actualisé des moyens sanitaires tels les centres hospitaliers pouvant recevoir des grands brûlés, les lieux d’accueil pour les populations à évacuer, les ambulances et moyens de transports, etc. Régulièrement, les services concernés belges et français alimentent cette plateforme afin que de manière permanente le niveau de risque soit connu et les moyens à engager soient adaptés. 

Le projet PACTESUR, qui est centré sur la sécurisation des espaces publics, doit aussi s’inscrire dans une approche de gestion intégrée du risque que chaque ville ou commune doit adopter pour ses espaces publics, qu’il s’agisse de voies piétonnes pouvant être la cible d’une action terroriste ou d’un stade de football pouvant être le théâtre d’affrontements entre supporteurs.

L’Efus, qui promeut une approche intégrée de la sécurité urbaine, encourage les collectivités territoriales à identifier les risques qu’elles encourent, qu’il s’agisse de criminalité urbaine ou de risques naturels, industriels ou anthropiques. En effet, dans tous les cas, les élus locaux sont responsables de la prévention et de la gestion des risques. Dans la plupart des pays européens, la loi identifie le niveau local comme étant le premier niveau de gestion du risque. En France et en Belgique notamment, ce sont les maires qui, selon le niveau de risques à gérer, font appel à des moyens supra-locaux qui seront alors engagés avec une gestion adaptée, par exemple celle des préfets en France et des gouverneurs de province en Belgique.

2. La coopération opérationnelle au quotidien 

Le projet ALARM reposait également sur un engagement régulier des moyens de secours belges et français, c’est-à-dire la capacité d’assistance mutuelle des secours en zone transfrontalière, et le développement d’une culture partenariale entre les services des deux pays. S’il existe depuis 1981 des accords de coopération franco-belge permettant de se porter assistance mutuelle en cas de catastrophe et d’accident majeur, le projet ALARM a intégré la possibilité d’intervention sur les risques quotidiens en fonction de la disponibilité des secours. 

Régulièrement, des équipes de SAMU / SMUR interviennent en appui à leurs collègues de l’autre côté de la frontière. Un poste de secours français peut être le plus proche et le plus apte à intervenir lors d’un accident survenant en Belgique, et inversement. Cette coopération quotidienne permet aux pompiers, ambulanciers et policiers de mieux se connaître, donc d’être complémentaires et d’agir efficacement.

Chaque intervention ayant conduit à une coopération transfrontalière fait l’objet d’une évaluation et d’un retour d’expérience qui permet d’adapter, de modifier ou de confirmer des modes d’intervention. De plus, les pompiers français et belges mènent régulièrement des exercices et entraînements conjoints. Le projet ALARM a ainsi contribué à l’élaboration d’un schéma transfrontalier d’analyse et de couverture des risques (STACR). 

De son côté, grâce à l’analyse de situations vécues à Nice, Turin, Gdansk, Liège ou Madrid, PACTESUR a mis en évidence l’importance de se préparer à la gestion d’événements aussi complexes qu’une fusillade, une panique ou un attentat. Une telle préparation implique au premier chef les élus locaux et les services municipaux concernés et demande une coopération étroite avec les services d’incendie, d’aide médicale urgente et de police, qui ont chacun leurs spécificités techniques et déontologiques. 

Quels résultats du projet ALARM pourraient contribuer aux travaux de PACTESUR ? Quel est le rôle des collectivités locales en matière de coopération transfrontalière en cas de crise ?

Le projet ALARM a contribué de façon significative à renforcer la sécurité des citoyens de la  zone frontalière entre la France et la Belgique en partageant une approche commune du bassin de risque concerné. 

Pour l’Efus, à l’instar de notre travail au sein de PACTESUR, il s’agissait de sensibiliser les élus locaux belges et français au développement d’une approche transfrontalière. Au cours des cinq années du projet, nous avons donné priorité au concept : la sécurité n’a pas de frontières. Autrement dit, si les risques sont partagés, partageons aussi l’analyse de ceux-ci permettant une solide approche préventive, mettons en commun nos moyens humains et matériels, partageons nos expériences de gestion et intégrons dans nos plans locaux de sauvegarde et d’urgence une dimension transfrontalière. 

Aujourd’hui, quelque 537 maires français et 83 bourgmestres belges ont été sensibilisés à des degrés divers à la nécessité de coopérer tout au long des 630 km de frontière. Le chemin a été long. Il aura fallu d’abord échanger sur leurs compétences respectives en matière de prévention et de gestion des crises.

Tant en Belgique qu’en France, le législateur donne un rôle clé aux élus locaux. Les autorités locales, qui sont les plus proches du terrain, procèdent à la première évaluation des risques auxquels sont soumis leurs territoires. 

La législation concerne aussi bien le projet ALARM que le projet PACTESUR. Ainsi, en France, la loi du 13 août 2004 prévoit que les maires établissent des Plans Communaux de Sauvegarde (PCS) qui déterminent :

  • les mesures immédiates de sauvegarde et de protection des personnes 
  • la diffusion de l’alerte et des consignes de sécurité
  • le recensement des moyens disponibles 
  • la mise en œuvre des mesures d’accompagnement et de soutien de la population. 

À la suite des attentats terroristes de 2015, 2016 et 2017, les communes françaises ont intégré ce type de menace dans leurs PCS. 

La situation est similaire en Belgique, où les Arrêtés Royaux de 2006, 2018 et 2019 imposent aux bourgmestres de rédiger un Plan Communal d’Urgence et d’Intervention basé sur une étude des risques. En tant qu’autorité administrative en matière d’ordre public sur son territoire, le bourgmestre coordonne au niveau stratégique les cinq types d’intervenants :  pompiers, aide médicale urgente, police, logistique (protection civile / Défense) et la communication.

Grâce notamment au travail mené par le projet ALARM et les nombreux séminaires qu’il a organisés avec les élus et techniciens français et belges, un nombre croissant de plans communaux de sauvegarde français et de Plans communaux d’Urgence et d’Intervention belges intègrent la dimension transfrontalière franco-belge. C’est une avancée majeure. 

Par ailleurs, ALARM a permis de mettre en évidence combien il est impératif que les élus soient sensibilisés à leurs responsabilités civiles et pénales en matière de prévention des risques et de préparation de plans adaptés. L’analyse de l’expérience de la catastrophe de Ghislenghien en Belgique, où une explosion de gaz due à un engin de chantier fit 24 morts et 132 blessés en juillet 2004, a été un catalyseur. La justice a enquêté sur la responsabilité du bourgmestre concerné et sa méconnaissance des risques souterrains.  

En regard du projet PACTESUR, il est essentiel que les plans locaux de sécurité des villes concernées intègrent les risques d’atteinte à l’espace public et déterminent le niveau de responsabilité dans la gestion d’un espace public, qui varie selon les pays et peut relever de cadres non seulement municipaux, mais aussi régionaux, voire nationaux. Sinon, on s’expose à ce que les opérateurs s’accusent mutuellement d’un manque de préparation.  

Le projet ALARM a mis en évidence la nécessité pour les élus et les intervenants de travailler dans des cadres juridiques précis qui sont soit à créer, soit à adapter. Concrètement, cela signifie quoi ?

Concrètement, une assistance dans un pays voisin doit se réaliser sur une base contractuelle et réglementaire. Si les interventions en cas de catastrophes ou d’accidents majeurs sont organisées dans le cadre précis des accords du 21 avril 1981 entre la Belgique et la France (qui ont été plusieurs fois actualisés), il n’existait pas jusqu’à présent de cadre contractuel aussi précis pour les interventions au quotidien qui n’étaient pas considérées comme des catastrophes. 

Ainsi, les porteurs du projet ALARM ont-ils proposé un nouveau cadre juridique adapté qui a donné lieu à la signature par les ministres de l’Intérieur belge et français d’un « arrangement administratif » facilitant la coopération opérationnelle transfrontalière et généralisant l’intervention des secours de part et d’autre de la frontière, le 18 juillet 2019. Cet accord a ouvert la voie à la signature, en 2021, de protocoles locaux d’exécution entre les préfets de département (France) et les gouverneurs de province (Belgique) et les présidents des services départementaux de secours (France) et les bourgmestres-présidents des Zones de Secours belges. Ces protocoles couvrent l’ensemble du territoire transfrontalier et répondent au plus près aux besoins des habitants relayés par les élus locaux.

Le projet PACTESUR est aussi amené à réfléchir à la création d’un cadre commun européen et examine et compare des législations en vigueur dans les différents pays européens. Le projet débouchera notamment sur des recommandations destinées aux gouvernements nationaux et aux institutions européennes. Il produit déjà des fiches de synthèse et des outils concrets sur un ensemble de thématiques, dont la communication, l’innovation et la coopération en matière de gestion de crise. 

Les deux projets mettent en avant l’importance de sensibiliser les citoyens à leur rôle en faveur de la prévention et de la sécurité. Quels sont les travaux d’ALARM à cet égard ?

Le projet ALARM a en effet consacré une partie importante de ses travaux à la place des citoyens dans la planification d’urgence. Les récents événements, notamment les inondations de l’été 2021 en Belgique mais aussi la tempête Alex dans le sud de la France en 2020, ont montré à quel point les citoyens sont prêts à se mobiliser pour s’entraider et combien il est important de les associer le plus en amont possible. Le projet ALARM a ainsi consacré un séminaire aux Réserves Communales de Sécurité Civile initiées par des villes et communes françaises, dont celle de Nice, ville coordinatrice du projet PACTESUR. Ces réserves sont constituées de citoyens volontaires capables d’offrir dans leur domaine un appui aux intervenants professionnels : infirmiers, techniciens-radio, électriciens, plombiers, menuisiers appelés à installer un dispositif d’accueil, à évacuer des débris, à isoler les habitations partiellement détruites… Lors des inondations en Belgique, ce volontariat citoyen a sauvé des vies. 

Toutefois, il convient de légitimer l’intervention de ces volontaires, de les former et de clarifier leur domaine d’intervention au sein des dispositifs mis en place par les autorités. Il est aussi intéressant de noter qu’ils peuvent constituer un vivier de futures recrues pour les services de secours.   

Comment améliorer la qualité de la coopération en période de calme, avant qu’une  crise ne survienne ? 

Il est difficile d’évoquer une coopération en période calme parce qu’une crise est par nature accidentelle : un camion transportant des matières dangereuses peut avoir un accident, une conduite de gaz peut être accidentellement perforée, un tueur fou peut faire irruption sur un lieu public… Le risque zéro n’existe pas, donc comment se préparer ? Un certain nombre de risques peuvent être prévus et répertoriés et il revient aux autorités de les connaître au mieux sur le territoire dont elles sont responsables.  

L’inventaire sera permanent et régulièrement actualisé, notamment en ce qui concerne les moyens à déployer en cas d’accident. En  France, les municipalités peuvent établir un (Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs, DICRIM). ALARM a montré combien il est important d’organiser des exercices au cours desquels chaque acteur assure sa responsabilité, déploie ses compétences et s’engage dans un processus d’évaluation. Des « fiches réflexes » seront ainsi d’une grande utilité de même que des guides pratiques centrés sur la conduite d’opérations d’urgence ou de sauvegarde. 

Quelles sont les principales difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre d’un protocole de coopération ? Comment les surmonter ? 

Les protocoles de coopération sont essentiels et doivent être établis dans le respect des compétences dévolues d’une part aux autorités stratégiques et d’autre part aux autorités opérationnelles. 

Au niveau stratégique, les premières autorités seront les élus locaux, les maires qui ont la responsabilité d’assurer la sécurité des citoyens. En fonction de l’ampleur ou de la nature de  certains événements, les autorités locales peuvent être amenées à solliciter des moyens humains et matériels qui dépendent d’un niveau de gouvernance supra-local, tels que les préfets en France ou les gouverneurs et ministres régionaux en Belgique. Il s’agit là de coordonner les efforts en respectant les prérogatives de chaque niveau de gouvernance et, c’est important, en parlant d’une même voix face aux médias.  

Les expériences européennes montrent que la mobilisation des moyens se fait graduellement, du niveau local au niveau supra-local (province, département, région) et ensuite au niveau national en cas de crise majeure, comme cela a été le cas pour la pandémie de Covid. 

Aujourd’hui, l’expérience du projet ALARM a également mis en évidence la nécessité d’agir au niveau international, et notamment au niveau transfrontalier vu les risques partagés et leurs conséquences sur les populations. Il existe déjà des mécanismes de coopération entre les différents membres de l’Union européenne. Ainsi, le Mécanisme de protection civile de l’UE vise au renforcement de la coopération en protection civile entre les États membres ainsi que six pays associés. Lorsqu’un pays est dépassé dans ses capacités de réponse par l’ampleur d’une catastrophe, il peut demander une assistance via le mécanisme. La Commission européenne contribue à au moins 75 % des frais de transport et/ou coûts opérationnels des missions de déploiement. En 20 ans, plus de 540 demandes d’assistance ont été faites par le biais de ce dispositif, dont une centaine pour la seule année 2020, notamment lors de l’explosion au port de Beyrouth (Liban) en août 2020 et lors d’inondations en Ukraine, au Niger et au Soudan.. Par ailleurs, le Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC) de l’UE est en contact permanent avec les autorités nationales de protection civile et assure le déploiement rapide de l’assistance. L’ERCC est en mesure d’agir si une catastrophe survient hors de l’espace européen. 

Un nouveau projet européen

 Aujourd’hui, l’Efus poursuit le travail mené dans le cadre d’ALARM en participant à un nouveau projet européen en matière de gestion des risques et de protection civile : mené par l’institut de recherche allemand Fraunhofer, RiskPACC a pour objectif d’améliorer la coordination entre citoyens et protection civile en cas de crise. 

Cet article a été édité pour des considérations de clarté et de longueur. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas les opinions du Consortium ou de la Commission européenne.
A propos de l’auteur

Yves van de Vloet est Expert associé à l’Efus. Spécialisé dans la sécurité des frontières, il a été responsable de l’axe “sensibilisation des élus” du projet ALARM. Il a auparavant été chef de cabinet adjoint du Gouverneur de la province du Hainaut et du Président-Ministre de la Région de Bruxelles-Capitale, et Directeur du Département de prévention de la criminalité au ministère belge de l’Intérieur. Il a également été professeur à l’Université de Liège et dans diverses écoles de police et académies de formation. Depuis 2019, il est membre du Comité consultatif d’experts du projet PACTESUR.

À propos de PACTESUR

Le projet PACTESUR vise à renforcer les capacités des villes et des acteurs locaux dans le domaine de la sécurité des espaces publics face à la menace terroriste principalement, mais aussi contre d’autres risques inhérents à l’espace public. Le projet fédère décideurs locaux, forces de sécurité, experts de la sécurité urbaine, urbanistes, formateurs, artistes de différentes disciplines et autres professionnels afin d’élaborer à partir du terrain de nouvelles politiques locales de sécurisation des espaces publics en Europe face aux différentes menaces.

A propos du PUBLICATION SERIES

Partenaire du projet PACTESUR, l’Efus coordonne l’édition de la Publication Series, un recueil d’articles rédigés par le Comité consultatif d’experts et les villes du projet, afin de contribuer au débat européen sur la protection des espaces publics. Parce que les défis auxquels l’espace public est confronté sont en constante évolution, ce recueil se veut être un espace de réflexion et de discussion sur ces questions.