Paris, France, Mars 2021 – Ces dernières années, l’utilisation de drones, ou systèmes aériens sans pilote (UAS pour l’acronyme en anglais Unmanned Aircraft Systems), par les organismes publics dans les zones urbaines a considérablement augmenté. Ces systèmes peuvent remplir des fonctions efficaces de contrôle et de surveillance dans les espaces publics. Ils peuvent être utilisés pour prévenir d’éventuelles attaques physiques contre les infrastructures essentielles (électricité, eau, systèmes de vie), les aéroports, les événements en plein air ou encore les concerts en plein air. Certaines villes européennes ont créé des unités de drones au sein de leur police municipale afin de développer, mettre en œuvre et améliorer leur utilisation dans les espaces publics. Toutefois, des recherches sont encore nécessaires pour déterminer la meilleure façon d’obtenir des résultats optimaux. L’utilisation de ces technologies soulève des inquiétudes quant au droit à la vie privée et à la protection des données. Ils posent aussi des risques de violation de la cybersécurité et d’utilisation malveillante.
Dans cette interview, deux villes partenaires de PACTESUR, la ville de Turin et la ville d’Édimbourg1, explorent ensemble le défi que représente l’utilisation de drones dans la protection de l’espace public.
Quels sont les principaux avantages de l’utilisation de drones dans la protection des espaces publics ? De quelle manière augmentent-ils la protection des zones urbaines ?
Gianfranco Todesco, Commissaire en chef du département des enquêtes technologiques (RIT) de la Ville de Turin – Le principal avantage est la possibilité de disposer de capteurs en temps réel, de jour comme de nuit, capables de détecter la présence de personnes dans certaines zones urbaines où elles pourraient être en danger. Par exemple, la nuit, dans un parc, même dans l’obscurité sous arbres, une caméra thermique peut détecter la présence de personnes. Lors d’un événement de grande envergure, nous pouvons surveiller les voies d’entrée et de sortie et rapidement détecter le danger en bougeant la caméra à bord.
Inspecteur Graeme Rankin, chef de l’unité de sécurité et de sûreté de l’aviation (ASSU), représentant la Ville d’Édimbourg – En Écosse, nous avons deux utilisations distinctes et séparées. Il y a d’abord l’unité de la police chargée des drones (RPAS pour l’acronyme en anglais Police Remotely Piloted Aircraft Systems) qui utilise des drones pour assurer la sécurité des personnes à travers toute l’Écosse. Ces drones sont un moyen rapide et efficace d’accéder à des zones étendues ou parfois inaccessibles, ce qui autrement demanderait beaucoup de temps et de ressources à une équipe de recherche sur le terrain. L’unité RPAS estime que les drones ne sont pas les mieux adaptés aux zones urbaines en raison des bâtiments et de la proximité des personnes. Les systèmes de vidéosurveillance (CCTV) installés dans les espaces publics ainsi que les ressources sur le terrain s’avèrent être les plus efficaces en milieu urbain. Ensuite, au sein de la Police écossaise, notre unité de sécurité et de sûreté de l’aviation (ASSU pour l’acronyme Aviation Safety and Security Unit) utilise une série de techniques pour protéger les citoyens et nos partenaires des menaces aériennes potentielles. Ces mesures d’atténuation comprennent des restrictions de l’espace aérien, le geofencing et des intervenants formés pour soutenir et protéger les utilisateurs légaux de drones et pour aider la police locale à lutter contre l’utilisation illégale croissante de drones. Ces méthodes sont déployées sur des sites et lors des événements, des opérations et des incidents.
Collaborez-vous avec d’autres unités de drones européennes ? Sur quoi repose cette coopération ?
Ville de Turin – Oui, nous avons mis en place un réseau d’unités de drones européennes où participent des forces de police, des entreprises privées, des universités et des centres de recherche qui travaillent ensemble sur les avancées en matière de drone dans l’objectif d’améliorer les services offerts par la ville.
Turin est la première ville d’Europe à disposer de deux zones de test, l’une à l’intérieur et l’autre à l’extérieur. La zone extérieure est appelée « DoraLab » : c’est un parc urbain avec un emplacement optimal qui garantit des conditions de sécurité pour le vol des drones. La zone d’essai intérieure est appelée « Città dell’aerospazio » (« Ville aérospatiale »), où les pilotes sont formés pour faire face à des conditions extérieures difficiles, comme par exemple des vents violents.
Ville d’Edimbourg – L’unité RPAS de la police écossaise travaille avec l’industrie locale et les partenaires universitaires, mais ne s’est pas engagée à ce jour avec d’autres partenaires internationaux. L’unité ASSU travaille avec des partenaires du Royaume-Uni et de l’UE, tant publics que privés. Dans le cadre du projet PACTESUR sur la protection des espaces publics, nous explorons les avantages et les méthodes les plus récentes d’utilisation des drones pour les activités de service public, mais aussi pour atténuer les menaces potentielles pour la sécurité publique posées par certaines opérations de drones.
Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les autorités nationales et locales dans l’utilisation des drones ?
Ville d’Edimbourg – En ce qui concerne l’utilisation des drones par la police, nos contraintes financières ne nous permettent pas de coller à l’évolution rapide des technologies. La façon dont les drones sont actuellement perçus de façon générale peut aussi favoriser une couverture médiatique négative. La réglementation stricte de l’aviation crée des conditions opérationnelles difficiles, mais elle peut aussi contribuer à maintenir un niveau élevé de sécurité.
Ville de Turin – Le principal défi est l’absence de « voies aériennes urbaines » pour assurer le développement des services, tant pour les autorités publiques que pour les entreprises privées. Les « voies aériennes urbaines » sont des couloirs aériens (« sky lanes ») dédiés aux opérations de drones, garantissant la plus grande sécurité avec un minimum de perturbations pour les citoyens.
Quelles pourraient être les conséquences sur la vie privée et la protection des données de l’utilisation de drones pour surveiller et contrôler les espaces publics vulnérables ? Quelles sont les principales considérations éthiques et sociales ?
Ville de Turin – La législation existe déjà si l’on considère que l’utilisation de drones ne diffère pas de la vidéosurveillance publique. Cependant, l’utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle à bord de drones équipés de caméras soulève des questions éthiques.
Ville d’Edimbourg – Toutes les opérations de drone de la Police écossaise sont menées conformément à une évaluation d’impact sur la protection des données (Privacy Assessment), au Règlement général sur la protection des données (RGPD) et à une évaluation d’impact en matière d’égalité et des droits humains. La police écossaise informe le public quand elle utilise des drones dans une zone donnée, par le biais des réseaux sociaux, des contacts directs avec les citoyens et parfois la distribution de dépliants. L’engagement et la participation de la communauté sont cruciaux car ils permettent d’instaurer et d’inspirer de la confiance et de rassurer. Toutes les activités drones de la police sont transparentes. Le déploiement des drones dans l’espace public doit répondre à un objectif policier légitime, sûr, légal, proportionné et nécessaire.
Comment pouvons-nous améliorer l’acceptation par le public des drones utilisés pour la protection de l’espace public ?
Ville de Turin – C’est un sujet très intéressant car la question des drones a toujours été liée à la guerre ou à l’espionnage. Nous pensons qu’il est nécessaire de mieux informer les citoyens sur les autres utilisations des drones : lorsque cela se produira, l’acceptation des drones par le public s’améliorera.
Ville d’Edimbourg – L’engagement de la communauté et la transparence à travers une mise à jour régulière sont des méthodes qui peuvent établir la confiance et le soutien du public. Il semble qu’il y ait actuellement une méfiance générale à l’égard de l’utilisation des drones, qui s’atténue avec le temps. Avec l’expansion des opérations commerciales pour le bien public, cette situation va inévitablement s’améliorer. Toutefois, si le public s’habitue à la présence de drones dans le ciel de nos villes, il y aura moins d’appels à la police concernant la présence de drones susceptibles d’être engagés dans des activités criminelles, ce qui souligne la nécessité d’avoir des processus adaptés pour la gestion de l’espace aérien inférieur.
Au-delà de la police, quels autres acteurs locaux pourraient bénéficier de l’utilisation des drones dans les espaces publics ?
Ville de Turin – Tous les services de la ville pourraient bénéficier de l’utilisation de drones dans les espaces publics, notamment pour la protection de l’environnement et la durabilité, où des drones équipés de capteurs multispectraux pourraient être utilisés pour identifier les maladies des plantes, l’impact d’une sécheresse sur les arbres, ou encore pour lutter contre les dépôts illégaux de déchets. En ce qui concerne la mobilité urbaine, les drones peuvent collecter des données relatives à la mobilité dans des zones difficiles d’accès. Ils peuvent également assurer la sécurité des gens qui font du jogging dans les parcs urbains. Dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, des drones désinfectants pourraient être déployés dans les rues afin de protéger le personnel de nettoyage. Récemment, l’Unité des drones de Turin a mené des exercices d’assainissement dans les zones de test, mais cela n’a pas encore été mis en pratique sur le terrain.
Ville d’Edimbourg – Un exemple des avantages de l’approche multi-institutionnelle est l’utilisation de drones par les services d’incendie et de secours à des fins d’enquête après incident, d’inspection des bâtiments et de connaissance de la situation sur les lieux d’événements ou d’opération.
Selon vous, quels sont les principaux enjeux de la réglementation européenne sur les drones dans le domaine de la protection de l’espace public ?
Ville de Turin – Les principaux défis sont liés à l’évolution de la technologie des drones comme cela a été le cas pour les hélicoptères. Afin d’utiliser les drones en toute sécurité dans les espaces publics, nous devons développer des nouvelles technologies avec des nouvelles réglementations, comme la création de « voies aériennes urbaines » dédiées.
Ville d’Edimbourg – Les réformes législatives introduites en début d’année permettent aux opérateurs et aux pilotes de drones de voler dans des circonstances qui n’étaient pas possibles auparavant. Cela offre d’excellentes opportunités pour l’industrie et le pilotage privé. Le défi consiste maintenant à investir rapidement dans des technologies afin de garantir que l’espace aérien inférieur soit une zone sans conflit et sécurisé, et que le grand public et les usagers de drones soient protégés contre ceux qui utilisent les drones de manière imprudente ou à des fins criminelles délibérées.
Une question spécifique pour Turin : L’Unité des drones de la ville de Turin a créé « l’Académie de l’innovation de la mobilité aérienne de Turin ». Qu’avez-vous appris de votre expérience en matière de protection des espaces publics à l’aide de drones et de l’intelligence artificielle (I.A.) ?
Ville de Turin : Nous avons appris que les drones doivent être intégrés aux actions et aux technologies qui existent déjà sur le terrain. Comme je l’ai mentionné, l’un des principaux défis est l’absence de « voies aériennes urbaines » pour les drones.
De plus, l’utilisation des technologies d’I.A. doit être toujours ramenée aux règles éthiques et à une surveillance et un suivi constants. Pour mieux comprendre ce concept, l’I.A. cherche à créer des machines capables de simuler des qualités humaines, comme le raisonnement, la résolution de problèmes, la planification ou l’apprentissage.
Une question spécifique pour Edimbourg : Vous avez participé à un atelier organisé par la ville de Turin sur New technologies and Innovative Approaches for Safety and Security of Public Spaces with Drones en décembre 2019. Selon vous, quels sont les principaux avantages pour les villes liés à la collaboration et au partage de connaissances sur l’utilisation des drones pour la protection des espaces publics ?
Ville d’Edimbourg – Il existe d’excellentes opportunités de collaborer et de réunir différents domaines où l’expertise est en train de se renforcer. Apprendre des expériences d’autres qui travaillent pour améliorer la sécurité des personnes signifie que les idées sont partagées, que les méthodes de travail peuvent être améliorées et que nous pouvons collectivement donner au public un service de qualité et de valeur de la part de la police et des autorités locales. Travailler de manière isolée à un moment où ce domaine d’activité connaît une croissance aussi rapide n’a pas de sens. Ce serait gâcher une occasion de collaborer avec nos collègues européens.
Note de bas de page
1 L’utilisation des drones est un thème d’ordre national en Écosse. Ces réponses concernent toute l’Écosse et pas seulement la ville d’Édimbourg.
A propos des auteurs
- Gianfranco Todesco est commissaire en chef du département des enquêtes technologiques (RIT) de la Ville de Turin. Il est pilote et opérateur de drone certifié par l’Ente Nazionale per l’Aviazione Civile (ENAC).
- Inspecteur Graeme Rankin est inspecteur de police et chef de l’unité de sécurité et de sûreté de l’aviation (ASSU), Planification nationale de lutte contre le terrorisme (EERP) de la Police écossaise.
À propos de PACTESUR
Le projet PACTESUR vise à renforcer les capacités des villes et des acteurs locaux dans le domaine de la sécurité des espaces publics confrontés aux menaces, entre autres, terroristes. A travers une approche ascendante, le projet fédère décideurs locaux, forces de sécurité, experts de la sécurité urbaine, urbanistes, développeurs informatiques, formateurs, designers et autres professionnels afin d’élaborer de nouvelles politiques locales européennes pour sécuriser les espaces publics contre le risque d’attentat terroriste.
Le projet est financé à 90% par le programme Sécurité Intérieure de la Direction générale Migration et Affaires intérieurs de la Commission européenne.
Contact:
Tatiana Morales, Programme Manager: morales@efus.eu
Martí Navarro Regàs, Programme Manager: navarroregas@efus.eu
Marta Pellón Brussosa, PACTESUR Communication Officer: pellonbrussosa@efus.eu