Lutter contre la criminalité organisée dans les ports européens en renforçant les partenariats public-privé : l’expérience de Rotterdam

Avril 2022 – Les ports, qui jouent un rôle essentiel dans le commercial mondial en totalisant 90% des échanges de marchandises[1], sont aujourd’hui, en Europe comme partout ailleurs, d’énormes ‘hubs’ logistiques ultra-efficaces que la criminalité organisée utilise pour acheminer la drogue des pays producteurs jusqu’aux marchés de consommation, en Europe notamment. L’une des approches pour contrer ce trafic, qui augmente d’année en année, consiste à établir des partenariats entre les secteurs public et privé.

C’est l’approche qu’utilise le Port de Rotterdam dans le cadre de sa stratégie de lutte contre la criminalité, comme l’a expliqué Marty Stanicic, Conseillère principal en matière de politiques au service de Sécurité publique de la Ville de Rotterdam, lors d’une webconférence organisée par le groupe de travail de l’Efus sur la criminalité organisée, le 20 avril. Il s’agissait de la troisième d’une série de conférences en ligne proposées tout au long de l’année par ce groupe de travail dirigé par les villes d’Amsterdam et de Rotterdam, toutes deux membres de l’Efus.

La nature vulnérable des ports

Outre l’énorme volume de marchandises qui transite par les ports 24h sur 24, le fait que ceux-ci soient gérés à la fois par des entités publiques (autoritaires portuaires et municipales ou régionales) et des compagnies privées les rend très efficients, mais aussi vulnérables. Au fil du temps, les groupes criminels organisés y ont établi des têtes de pont, utilisant l’intimidation et la corruption pour renforcer leurs réseaux et augmenter la quantité de marchandises illicites acheminées vers l’Europe.

L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) souligne dans un rapport datant de 2021[2] que « l’épicentre du marché de la cocaïne en Europe s’est déplacé vers le nord. L’utilisation croissante du transport par conteneurs via les grands ports d’Anvers, Rotterdam et Hambourg a consolidé le rôle central des Pays-Bas et fait que la Mer du Nord en Europe a supplanté la péninsule ibérique pour devenir le principal point d’entrée de la cocaïne en Europe ». Ainsi, le port de Rotterdam a vu les saisies de cocaïne passer de 13 à 17 tonnes entre 2006 et 2021.

L’accroissement du trafic génère un accroissement de la violence, qui souvent a un impact sur les communautés qui vivent près des ports ou qui implique certains résidents eux-mêmes. La Ville de Rotterdam a ainsi noté que les jeunes habitants sont aujourd’hui plus en risque d’être recrutés par des groupes criminels qui leur offrent la possibilité de gagner des sommes importantes d’argent en dealant de la drogue, ce qui crée une subculture criminelle dangereuse. À cela, « il est difficile de trouver des alternatives », a reconnu Mme Stanicic. De Rotterdam aux Pays-Bas en passant par Le Havre en France et le Pirée en Grèce, pour citer trois villes membres de l’Efus, les ports européens sont de plus en plus affectés par le phénomène de la criminalité organisée, ce qui appelle des solutions locales et une coopération avec toute sorte d’acteurs.

Développer des partenariats solides pour combattre la criminalité organisée

Si la gestion partagée des ports entre entités publiques et privées peut causer une certaine vulnérabilité, elle représente aussi une opportunité de développer des partenariats solides pour lutter contre la criminalité organisée. Représentant l’Efus, Tatiana Morales, chargée de mission, a souligné qu’« il est important d’adopter une approche pluridisciplinaire et multipartenaires pour agir sur la zone grise qui sépare les activités légitimes, illicites et illégales caractéristiques des ports en Europe et ailleurs dans le monde ». Qu’est-ce qu’un partenariat public-privé efficace ? Mme Stanicic a souligné l’importance de partenariats qui travaillent « autant en amont qu’en aval » afin de « réprimer et de contrer le modèle de gestion » des groupes criminels organisés.

Sachant que les acteurs privés sont essentiels dans sa stratégie de prévention, parce qu’il y va de leur intérêt, la Ville de Rotterdam a établi plusieurs partenariats public-privé dans le port. Sur la base d’une recherche menée en 2019 par l’Université Erasmus de Rotterdam, la Ville a élaboré un plan d’action avec des acteurs publics et privés tels que les compagnies maritimes, Deltalinqs, les douanes, la police portuaire, le Parquet et la municipalité afin d’

« explorer les opportunités de partenariats public-privé ».  

Formation des employés du port

Un exemple est le ‘conteneur de formation’ permettant de sensibiliser les employés du port et de renforcer leur résilience face aux tentatives de recrutement et de corruption de la criminalité organisée. À ce jour, quelque 4 000 employés ont suivi cette formation, qui utilise les jeux de rôle dans le cadre d’un scénario où un criminel cherche à recruter un employé.

La Ville de Rotterdam veut continuer à développer les partenariats public-privé et prévoit de nouvelles actions de prévention auprès des utilisateurs récréatifs de drogue, ainsi qu’une action visant les jeunes.

Principaux points de la session

En conclusion,Tatiana Morales, chargée de mission à l’Efus, a identifé trois enseignements de la session :

●  le soutien politique est important pour permettre aux partenariats public-privé de lutter contre la criminalité organisée dans les ports européens ;

●  pour être efficaces, les opérations de police et les mesures préventives doivent avoir pour objectif de casser le modèle entrepreneurial des groupes criminels ;

●  une approche en amont et en aval est essentielle pour une stratégie efficace.  

> La prochaine webconférence du groupe de travail sur la criminalité organisée aura lieu le 15 juin et sera consacrée à l’esclavage moderne et au trafic des êtres humains. (Inscription gratuite ici)

 > Follow the activities of the working group on organised crime on Efus Network


[1] Source : Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)

[2] UNODC, Cocaine Insights 2021