« « L’ouverture de la salle de consommation à moindre risque est d’abord un engagement social de la ville » – Dr Alexandre Feltz, adjoint en charge des questions de santé de la ville de Strasbourg « 

En France, les salles de consommation à moindre risque (SCMR) sont autorisées à titre expérimental pour une durée maximale de six ans. Strasbourg et Paris sont les deux seules villes en France a avoir ouvert une telle structure. Baptisée Argos, celle de Strasbourg est installée sur le site de l’hôpital civil et accueille entre 40 et 60 usagers par jour. Souvent citée comme exemple à suivre, la ville de Strasbourg est partenaire du projet Solidify. L’Efus a rencontré le docteur Alexandre Feltz, adjoint en charge des questions de santé.

 

Strasbourg a ouvert une salle de consommation à moindre risque en novembre 2016. À quels enjeux de sécurité et de santé publique répond-elle ?

L’ouverture de la salle de consommation est d’abord un engagement social de la ville, qui a la volonté d’aller vers les personnes les plus en difficulté. Strasbourg est aussi confrontée à une réalité de la toxicomanie et aux problèmes qui en découlent. La ville est un lieu de passage, de brassage, de rencontre avec des populations qui viennent d’horizons divers. Même si nous n’avions pas de scènes de consommation ouvertes comme dans d’autres grandes villes européennes, la consommation de drogues pouvait se dérouler dans de petites scènes comme des caves, des cages d’escalier ou des parcs. Notre territoire était aussi marqué par de nombreux injecteurs et des cas d’hépatites C. Ce sont ces populations que nous voulions toucher avec la salle.

C’est un engagement en santé ancien et fort de la ville…

Effectivement, dès 2011 Strasbourg s’est engagée à accompagner l’ouverture d’une salle de consommation à moindre risque. À cette époque, la législation française ne le permettait pas. Nous nous sommes donc associés à d’autres villes et à des associations afin de travailler sur le sujet. Ainsi, nous étions prêts en 2016 lorsque la loi a autorisé l’ouverture de SCMR à titre d’expérimentation. Malgré les oppositions ou les craintes, c’est une conviction très forte de Roland Ries, le maire de la ville. Par ailleurs, Strasbourg est une ville particulière. Capitale de l’Europe, elle est aussi marquée par l’humanisme rhénan. La ville est très investie dans le social et la santé, et elle a à cœur d’aller vers les gens les plus en difficulté : les plus pauvres, les malades mais aussi les toxicomanes. D’ailleurs, il n’y a pas eu d’instrumentation politique de la salle puisque 90% des élus du conseil ont voté favorablement pour son ouverture. Ce débat apaisé nous permet aujourd’hui de travailler de façon très sereine.

On retrouve cet apaisement au sein de la population qui a très vite accepté l’ouverture de la salle. Comment l’expliquez-vous ?

Tout d’abord, il est important qu’il y ait une loi au niveau national. Cela nous a permis de travailler avec la presse pour diffuser des informations objectives sur le dispositif. Au fur et à mesure, l’opinion y a été de plus en plus favorable.

La question de la localisation est également  fondamentale. Celle de la salle de consommation de Strasbourg a plusieurs avantages : elle est dans un hôpital à l’écart des zones résidentielles tout en étant facilement accessible pour les consommateurs. En effet, il n’y a pas d’habitation à moins de 500 mètres, ce qui atténue les éventuelles tensions avec les riverains. Le fait d’être dans un lieu de soin a aussi renforcé nos discours sur la nécessité de considérer les toxicomanes comme des personnes malades et non pas comme des délinquants. Nous sommes également très attentifs aux questions de sécurité. Nous travaillons avec le procureur de la République et la police. Et nous avons mis en place un groupe local de traitement de la délinquance. Nous n’avons pas eu de plaintes pour le moment, mais nous sommes conscients que le consensus reste cependant fragile.

Vous avez rejoint le projet Solidify. Qu’attendez-vous de cette initiative ?

Être dans un réseau permet des échanges de bonnes pratiques, techniques et politiques, et d’avancer ensemble. Chaque pays européen a ses propres logiques politiques et sociétales. La Belgique en est un bon exemple : très ouverte sur les questions sociétales en santé, elle l’est beaucoup moins sur les salles de consommation. Nous avons beaucoup à apprendre des partenaires du projet. Il serait aussi intéressant d’élargir nos discussions à des villes canadiennes ou à nos amis suisses. Il est nécessaire de travailler avec les institutions mais je crois beaucoup au pouvoir local des villes.

Quels sont les développements envisagés pour la salle ?

Le vrai enjeu aujourd’hui est la question de l’hébergement. Les toxicomanes viennent dans ce lieu, ils y ont des pratiques sécurisées mais la nuit c’est différent. Près de 50% d’entre eux sont sans abri. Ils sont alors confrontés à la pluie, au froid et à l’insécurité. Chaque année, nous avons des SDF qui décèdent sur le territoire dont certains sont usagers de drogue. Pour les personnes atteintes d’hépatite C, il est également très compliqué de suivre un traitement dans la rue. L’installation d’appartements thérapeutiques intégrés avec la salle nous permettrait de mieux accompagner et soigner ces personnes.

Nous avons également la volonté de renforcer notre travail avec l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau Kreiss qui a participé au financement de l’investissement pour ce beau projet. Il n’y a pas de salle de consommation du côté allemand mais certains de leurs usagers passent la frontière pour consommer. La salle de Strasbourg est une étape importante pour le développement d’une prévention transfrontalière et dans la construction d’une culture commune aux professionnels des deux côtés du Rhin.