Interview croisée de deux femmes, actrices de la prévention et/ou de la sécurité : un exemple européen

Quel est votre parcours ?

Katty Firquet , députée provinciale et vice-présidente du Collège provincial de la Province de Liège, Belgique :

Journaliste de formation, j’ai travaillé notamment pour une importante compagnie d’assurance liégeoise pendant 10 ans avant d’être élue conseillère provinciale à deux reprises, en 2000 et 2006. J’ai été choisie pour devenir députée provinciale en janvier 2010, en charge des Affaires sociales et des Établissements hospitaliers. Depuis janvier 2015, je suis vice-présidente du Collège provincial de la Province de Liège en charge de la Santé, des Affaires sociales et des Relations extérieures.

Tout au long de ce parcours et plus particulièrement dans mes fonctions exécutives, j’ai réformé l’exercice des compétences qui m’ont été confiées vers plus de pertinence et une meilleure adéquation avec le vécu quotidien des citoyens. Je me suis investie dans différents projets novateurs qui prennent en compte les besoins des personnes fragilisées ou en souffrance et plus particulièrement les enfants et les adolescents.

Elena Giner Monge, adjointe au maire de Saragosse, Espagne :

Je suis diplômée en sociologie (Université publique de Navarre) et je suis spécialisée en migrations, en relations intercommunautaires et en médiation sociale. Je suis titulaire d’un master de l’Université autonome de Madrid et d’un diplôme d’études avancées de l’Université Paris 7-Denis Diderot. Je travaille depuis plus de 15 ans dans le domaine social et j’ai notamment une grande expérience en matière de défense des droits des personnes migrantes, d’animation de comités de quartier et de centres sociaux communautaires ainsi qu’en matière d’éducation  des adultes.

 

L’égalité femme-homme et la prévention des violences faites aux femmes sont des thèmes importants en Europe et dans le monde, en témoigne notamment la récente campagne ≠MeToo. Comment le niveau local peut-il agir ?

Katty Firquet : L’actualité ne démentira pas le besoin urgent de protéger les femmes, quel que soit le milieu dans lequel elles évoluent. L’affaire Weinstein a mis à nu les coulisses d’Hollywood et a braqué les projecteurs sur les violences exercées envers les actrices, les productrices et bien d’autres… Il faut briser cet ascendant potentiellement mortifère, qu’il provienne d’un patron, d’un collègue, d’un mari ou d’un frère !

Peut-être ce déferlement de témoignages de personnalités en vue va-t-il aider les femmes anonymes violentées à sauter le pas et à mettre un terme au calvaire qu’elles subissent ? C’est en tout cas ma conviction. Mais cette conviction, je l’étends aux enfants, aux adolescents qui sont également victimes de violences intrafamiliales et même aux hommes qui peuvent aussi être victimes de violences conjugales.

Le droit ou les droits des femmes doivent être identiques, ni plus ni moins, à celui des hommes et la réciproque est également vraie. Il est important de ne pas perdre cela de vue pour ne pas tomber dans la stigmatisation systématique d’un genre, même si le chemin à parcourir vers l’égalité est aujourd’hui, pour les femmes, le plus long et le plus ardu. Je défends une société où femmes et hommes sont respectés de la même manière, où personne, quel que soit son genre ou son orientation sexuelle, ne peut être brisé et humilié.

Elena Giner Monge : La municipalité de Saragosse développe plusieurs programmes de lutte contre la violence de genre. Nous avons notamment organisé la campagne « No es No » (Quand c’est non, c’est non) pour pointer du doigt les attitudes violentes et machistes et nous essayons de sensibiliser les citoyens pour qu’ils rejettent de tels comportements au moyen d’initiatives comme la création d’espaces « interdits au machistes » (« Este es un espacio libre de machismo »). De plus, nous travaillons sur des programmes d’éducation à l’égalité homme-femme et nous avons défini, en coordination avec la police nationale, des protocoles de prise en charge et de détection des comportements violents et machistes.

Des stages de formation ont été organisés pour la police nationale et continueront d’être proposés à l’avenir. Notre méthode de travail correspond à ce que préconise l’Efus, c’est-à-dire la coproduction. À Saragosse, la mairie collabore avec des acteurs de différents secteurs pour trouver des solutions concrètes. Un bon exemple est le travail collaboratif qui a été entrepris avec des groupes de femmes au travers  du « Plan égalité homme-femme » de la ville de Saragosse.

 

Et dans la province de Liège, quelles actions ont été mise en place ?

Katty Firquet : Le département des Affaires sociales adhère depuis des années à la campagne « Ruban blanc » contre les violences faites aux femmes. Il porte aussi le fer contre des brutalités d’autant plus inadmissibles qu’elles sont infligées au sein-même de la famille. Il a créé spécialement à cet effet une « Cellule Violences intrafamiliales » qui incite les communes et le secteur associatif à veiller au moindre signe de sévices infligés au sein d’une famille.

Le Département des Affaires sociales coordonne aussi une plateforme où se rencontrent des acteurs de la police, de la justice et du secteur psycho-médico-social pour encadrer et apporter toute l’aide et le réconfort dont ces femmes ont besoin pour reprendre pied dans une vie saine et sans violence. La plateforme cible aussi les enfants qui sont également victimes ou témoins d’actes de violence afin de leur venir en aide ou leur éviter de reproduire à leur tour des comportements inadéquats. Le département organise des conférences, des journées d’études et des formations pour répondre à la demande des travailleurs des secteurs psycho-médico-social et judiciaire en matière de prise en charge des femmes victimes de violences. Les sujets traités concernent les abus sexuels, le viol, la prostitution, l’excision ou encorel’hypersexualisation.

Enfin, à mon initiative, la Province de Liège est en train de concrétiser le « Carrefour Santé-Social (CaSS) » qui, sur le territoire de la ville de Liège, sera aussi un lieu d’accueil, d’écoute, d’aide et d’orientation pour ces femmes blessées dans leur chair et dans leur dignité. Elles y trouveront des assistants sociaux, des psychologues, des infirmiers, des juristes et toutes les personnes ressources à même de les aider à se reconstruire. Au-delà du soutien social et administratif, le secours proposé passe aussi par un lavoir, des douches, un atelier de relooking… Le CaSS n’est pas réservé aux femmes ; il est ouvert aux hommes et à toute personne précarisée et/ou toxicomane.

 

Quels défis reste-t-il à relever en matière d’égalité et de parité ?

Elena Giner Monge : En Espagne, nous avons encore de grands progrès à faire si nous nous comparons à d’autres pays. Nous devons progresser sur la voie de la coresponsabilité qui est indispensable pour briser le « plafond de verre » qui bloque la carrière professionnelle des femmes et le « plancher collant » qui les retient dans les fonctions moins élevées.

Katty Firquet : Un autre terrain de lutte contre les inégalités de genre se situe au niveau économique, social et dans les lieux de décision. D’aucuns confondent encore « pouvoir » et « virilité » mais il est grand temps de réveiller les consciences et d’ouvrir les yeux ! Et si on faisait fi du genre pour ne considérer que les compétences, le savoir-faire et le savoir-être ? Il reste beaucoup de travail à faire mais l’égalité des chances gagne du terrain, lentement mais sûrement.

Dans le monde occidental, les femmes ont acquis, il n’y a pas si longtemps, des droits qui sont pourtant aujourd’hui de plus en plus souvent remis en question : l’interruption volontaire de grossesse en est un exemple criant. Les femmes ont le droit de disposer de leur corps et il est inacceptable d’envisager de faire marche arrière dans ce domaine. Il faut à tout prix s’en protéger.

Il devient urgent de réaffirmer des principes élémentaires que nous pensions intégrés et qui vacillent dangereusement : la liberté de dire « non » sans être violentée ou violée ; la liberté de s’habiller comme on l’entend ; la liberté d’aller là où l’on veut sans être injuriée ni harcelée sexuellement ; la liberté de choisir les études ou un métier sans être coincée dans des cases « ce sont des études de mecs », « ce n’est pas un job pour les filles » ; la liberté d’accéder à tous les postes décisionnels et à toutes les fonctions ;  la liberté de choisir son partenaire ; la liberté d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant ; la liberté de changer de sexe… Toutes ces revendications sont d’ailleurs valables aussi pour les hommes !

Les défis restent nombreux. Les femmes doivent maintenir leur vigilance, n’accepter aucun compromis qui les fragiliserait à nouveau et les hommes peuvent les y aider. Parfois, relire Simone de Beauvoir – auteur, en 1949, du Deuxième sexe, une œuvre révolutionnaire qui explique pourquoi on a fait des femmes les inférieures des hommes et que le Vatican a classée dans sa liste noire des livres interdits ! – ou s’intéresser aux combats que des femmes comme Simone Veil – auteur de la loi sur la légalisation de l’avortement en France, en 1975 – ou Olympe de Gouges – auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791 –  peut nous rappeler ou nous apprendre d’où nous venons et combien précaires sont nos victoires.