Paris, France, avril 2021 – Des représentants des villes de Budapest (Hongrie) et Gdansk (Pologne) ainsi qu’un eurodéputé hongrois ont appelé l’UE à soutenir directement les villes d’Europe centrale et orientale confrontées aux atteintes à l’état de droit de leurs propres gouvernements nationaux, lors d’une webconférence organisée par l’Efus à l’occasion de son Assemblée générale, le 18 mars.
Benedek Jávor, chef de la représentation de la Ville de Budapest à Bruxelles, Sándor Rónai, député européen pour la Hongrie, et Piotr Borowski, Maire Adjoint de la Ville de Gdansk, ont décrit comment les gouvernements de Viktor Orbán en Hongrie et de Mateusz Morawiecki en Pologne sont de plus en plus centralisateurs et « cherchent à réduire le pouvoir et les compétences des autorités locales » dans l’objectif de « démanteler l’état de droit ».
Des gouvernements centraux qui réduisent les pouvoirs des autorités locales
Le député européen Sándor Rónai (Coalition démocratique, DK), a déclaré que « depuis des années, le gouvernement Orbán centralise et réduit les ressources des autorités locales sous nos yeux, tout en ignorant les rappels à l’ordre de l’UE » et que celui-ci « n’a pratiquement plus rien en commun avec les valeurs européennes » telles que la liberté de la presse, l’indépendance de la justice et le principe de subsidiarité.
Le Maire Adjoint de Gdansk, Piotr Borawski, a fait un constat similaire : « La situation est préoccupante en Pologne avec des menaces qui pèsent sur la Cour Constitutionnelle, une réforme fiscale qui a restreint le pouvoir des autorités locales, et le fait que la Pologne est passée du 18e au 62e rang dans l’Indice de la Liberté de la Presse (Press Freedom Index) ».
Appel à des financements directs de l’UE
Alors que les gouvernements hongrois et polonais ont des relations difficiles avec l’UE, MM. Rónai and Jávor estiment que des financements européens directs aux villes permettraient de renforcer la démocratie locale contre les gouvernements peu libéraux. « Nous avons besoin d’un soutien fort de l’UE aux régions et aux communautés locales afin de protéger l’état de droit, les principes de légalité et les valeurs européennes », a dit le Maire Adjoint de Gdansk.
Le député européen hongrois a ajouté pour sa part qu’une « part importante du soutien de l’UE pourrait consister en un financement direct des villes, en veillant à ce que les citoyens sachent d’où proviennent ces fonds mais aussi en veillant à ce que les autorités locales respectent l’état de droit et les valeurs européennes ».
Le chef de la représentation de Budapest à Bruxelles et ancien eurodéputé Benedek Jávor a lui aussi souligné l’importance d’un tel soutien direct : « Rendre les financements européens plus directement accessibles aux collectivités territoriales, favoriser l’accès simple et neutre aux enveloppes nationales (telles qu’ERDF SUD ou la mission « Climate Neutral and Smart Cities » d’Horizon Europe), élargir la portée des systèmes de ‘management direct’ plutôt que de ‘management partagé’ et créer un axe Politique Urbaine dans le cadre financier pluriannuel » sur le modèle de la Politique de Cohésion sont des options à explorer, a-t-il dit.
Un impact dans toute l’UE
Piotr Borawski a souligné que le soutien de la part des institutions européennes est d’autant plus important que « la détérioration des droits civiques et des libertés dans certains États Membres a un impact réel sur l’état de la démocratie dans toute la famille européenne ». Il a appelé à un « plan mondial pour renforcer la démocratie dans l’UE » qui pourrait démarrer avec un diagnostic de phénomènes tels que les restrictions à la liberté de la presse et la propagation de fake news, la montée de la radicalisation, ou les limitations au droit de protester. Un tel diagnostic comprendrait également l’identification de bonnes pratiques « qui pourraient être une sorte d’inoculation démocratique pour stopper la maladie » de l’autoritarisme.
Villes progressives contre gouvernements autoritaires
M. Jávor a souligné que bien qu’il existe aussi des mouvements populistes et eurosceptiques en Europe de l’Ouest, un nombre croissant de villes progressistes ont des relations directes entre elles et constituent une voix puissante sur les questions des droits démocratiques, de l’inclusion sociale et du changement climatique. « Les villes ont tendance à élire des dirigeants plus progressistes, pro-européens et moins populistes » que les pays pris dans leur ensemble lorsqu’ils élisent leur gouvernement national, a-t-il dit, en citant l’exemple de Budapest, Gdansk, Varsovie, Prague, Bratislava, Bucarest, et Istanbul. Cela signifie que « l’UE a des partenaires potentiels dans de nombreuses villes en Europe et au-delà et devrait établir un partenariat stratégique avec elles ».
Une coalition de villes progressistes
M. Borawski a fait un portrait plein d’émotion de sa ville, dont le maire progressiste Pawel Adamowicz, leader historique de Solidarnosc, a été assassiné en 2019 après 21 ans à la tête de la mairie, comme un modèle de tolérance et d’inclusion sociale. Gdansk a ainsi reçu des prix internationaux prestigieux pour sa politique d’intégration des migrants et sa politique d’égalité de traitement.
M. Jávor a ajouté que la coopération entre les villes progressistes est un moyen d’unir les forces contre l’autoritarisme, à l’image du Pacte des Villes Libres qui unit Varsovie, Prague, Bratislava et Budapest. Le projet est désormais d’élargir ce Pacte à d’autres villes dans chacun des pays concernés et à toute l’UE. « L’importance des villes et leur participation aux processus de prise de décision devrait être renforcé à l’échelle de l’UE, par exemple en renforçant le Comité des Régions ou bien en créant de nouvelles instances pour les villes », a-t-il dit.
Maintenir l’état de droit : une priorité pour l’UE
Intervenant au nom de l’UE, Didier Reynders, Commissaire européen à la Justice, qui a introduit la session, a souligné que l’État de droit « est au cœur » du projet européen et qu’il existe de nouveaux mécanismes pour contrôler son application et le renforcer au sein de l’UE, notamment le Mécanisme de protection de l’état de droit qui prévoit un processus de dialogue annuel sur l’état de droit entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, les États membres, les parlements nationaux, la société civile et d’autres parties prenantes.
L’un des aspects essentiels de ce processus est le rapport annuel sur l’état de droit, publié pour la première fois en septembre 2020. Son objectif est de recenser les éventuels problèmes liés à l’état de droit le plus tôt possible, de même que les bonnes pratiques. Le rapport s’intéresse aux domaines suivants : les systèmes de justice, les cadres de lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté des médias et les autres questions institutionnelles en rapport avec l’équilibre des pouvoirs.
Un autre instrument clé complémentaire de ces outils est la Régulation sur la conditionnalité de l’état de droit. La Commission européenne a élaboré un projet législatif en 2018 dans le but de défendre les intérêts financiers de l’Union lorsque des déficiences sont constatées dans certains États Membres en matière de respect de l’état de droit. Ce projet a débouché sur la récente Régulation sur la conditionnalité de l’état de droit qui a pour but de protéger le budget de l’Union lorsque les principes de l’État de droit sont enfreints par des États membres.
« Ces nouveaux instruments permettent à la Commission de mieux protéger et faire respecter l’état de droit dans toute l’UE, mais nous avons besoin d’une coopération à tous les niveaux, et notamment du soutien des autorités locales et régionales », a déclaré M. Reynders.
> Lire le compte-rendu de la session
> En savoir plus sur le Rapport de l’UE sur l’état de droit
> L’Efus invite ses membres à débattre de ces questions et d’autres thèmes à la conférence internationale Sécurité, Démocratie et Villes, du 20 au 22 octobre 2021