Prévention de la radicalisation violente : de nouveaux outils pratiques pour les collectivités

Novembre 2023 – Même si la radicalisation violente est souvent alimentée par les événements mondiaux, c’est à l’échelle locale que son impact est le plus fort et le plus direct. Comment les collectivités peuvent-elles la prévenir ?

Le projet européen icommit, dans lequel l’Efus était partenaire, met à la disposition des collectivités intéressées une gamme d’outils concrets.   

Prévention locale

Les gouvernements nationaux ont la responsabilité de concevoir des politiques de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent mais ce sont les collectivités territoriales qui représentent le premier niveau de prévention, et le plus direct. En effet, toute activité extrémiste émerge et/ou se développe dans une ville et un quartier donnés, même si elle a également lieu dans l’espace digital.

Coopération multipartite

Il est aujourd’hui établi que ce type de prévention fonctionne le mieux lorsqu’elle s’appuie sur de larges partenariats locaux réunissant des professionnels de disciplines variées et divers types d’organisations et d’institutions. Mais l’expérience prouve que mettre sur pied de tels partenariats et les animer est loin d’être facile.

Le projet icommit, financé par le Fonds pour la sécurité intérieure de la Commission européenne et mené par le Violence Prevention Network (VPN, Allemagne), avait pour objectif d’outiller les collectivités pour les aider à mieux gérer de tels partenariats multipartites.. 

Les activités du projet

Sur une période de 21 mois (janvier 2022-septembre 2023), VPN et ses partenaires* ont travaillé sur deux axes : d’une part renforcer la collaboration au sein de réseaux multipartites sur les trois niveaux de prévention (primaire, secondaire et tertiaire**) et d’autre part soutenir les travailleurs sociaux qui interviennent auprès d’individus en risque de radicalisation violente ou déjà condamnés pour des activités extrémistes violentes.

Huit villes européennes*** ont participé au premier volet du projet, tandis que 20 travailleurs sociaux de divers pays européens ont participé au second. De plus, six experts/mentors ont contribué aux trois sessions de formation organisées pour les équipes municipales et les travailleurs sociaux et, plus largement, ont apporté leur éclairage à l’ensemble du projet.

Un manuel pratique

L’un des principaux résultats du projet est un manuel pratique. Intitulé Se mettre à la place de l’autre****, il comprend des conseils et des outils pratiques facilitant le travail en partenariat multipartite et le travail social individualisé dans le domaine de la prévention et de la lutte contre l’extrémisme violent (prevention and countering of violent extremism ou P/CVE).

Le manuel résume le contenu des sessions de formation qui ont été données aux équipes municipales et aux travailleurs sociaux associés au projet icommit et comprend une série d’outils et d’exercices. Elle peut être utilisée par toute collectivité intéressée pour ses propres programmes de formation ou pour nourrir ses politiques et activités en matière de P/CVE.

Un programme de formation approfondi

En ce qui concerne la collaboration multipartite (le premier volet du projet), icommit propose huit modules de formation construits autour de notions clés à prendre en compte lorsque l’on établit et anime un partenariat pluridisciplinaire dans le domaine de la P/CVE.

Le manuel décrit de façon concise et facile à lire les contenus de chacun des modules, ce qui permet de les utiliser en fonction de ses propres contexte et besoins.

Les DesistCards : un jeu de cartes pour les travailleurs sociaux qui guident les individus vers la sortie de l’extrémisme violent.

Les principes de la collaboration multipartite

La formation est structurée en huit modules, chacun présentant une notion clé en matière de collaboration multipartite :  

1 – Se mettre à la place de ses collègues, c’est-à-dire apprendre à connaître et comprendre des partenaires qui viennent de structures et de disciplines différentes.  

2 – Parler le même langage, c’est-à-dire avoir une compréhension et une terminologie commune, par exemple autour de notions et de mots telles que « terrorisme ».

3 – Regarder à travers le prisme du genre, c’est-à-dire être toujours attentif sur le rôle important du genre dans la radicalisation, le recrutement et la participation à l’extrémisme violent et au terrorisme.

4 – Comprendre la situation locale en matière de risques, c’est-à-dire avoir une vision claire des facteurs individuels, sociaux et globaux qui alimentent la radicalisation menant à la violence dans votre ville ou région.

5 – Introduction aux modèles de théorie du changement : ceci peut sembler un peu théorique, mais en fait il s’agit simplement de modèles qui vous aident à conceptualiser les connexions entre ce que vous allez faire (les activités) et ce que vous souhaitez obtenir (les objectifs). Les résultats sont les étapes logiques entre vos activités et vos objectifs.  

6 – Mise en pratique, c’est-à-dire, pendant une formation, utiliser des scénarios sur lesquelles les participants doivent travailler ensemble pour résoudre une situation fictive.

7 – Travailler avec les habitants, c’est-à-dire être conscient de l’importance du travail avec les groupes de population qui sont les plus affectés par l’extrémisme violent.  

8 – Obtenir l’adhésion des responsables politiques, c’est-à-dire prendre en compte l’indispensable appui des décisionnaires politiques locaux.

Travail sur les cas individuels : le DesistKit

Concernant le travail individuel sur les cas (deuxième volet du projet), les partenaires icommit ont développé un outil pratique pour les travailleurs sociaux : le DesistKit. Il comprend trois éléments : un manuel, un outil PowerPoint intitulé CaseReflector qui présente les facteurs pouvant aider un individu à prendre ses distances face à l’extrémisme violent, et enfin les DesistCards, un jeu de cartes que les travailleurs sociaux peuvent utiliser lorsqu’ils conseillent et guident les individus vers la sortie de l’extrémisme violent.  

Toutes les informations contenues dans le CaseReflector et les DesistCards sont fondées sur la recherche, soit dans le cadre de précédents projets européens, soit par des universités et centres de recherche.

Centré sur le présent et l’avenir

L’un des principaux aspects du DesistKit est que, plutôt que de focaliser sur les facteurs qui ont mené un individu à se radicaliser au point de commettre des actes violents, il explore les atouts dont l’individu dispose en lui et autour de lui, dans le moment présent, ainsi que les facteurs qui pourraient l’amener dans un futur proche à prendre ses distances avec les groupes et idéologies extrémistes. Il peut s’agir par exemple des liens familiaux, ou de la satisfaction que l’individu retire de son travail, ou de la reconnaissance dont il bénéfice de la part des autres. 

Sensible au langage et au genre

Une autre caractéristique du DesistKit est qu’il utilise un langage qui ne stigmatise pas, ne démotive pas et ne juge pas (à l’inverse de termes qui portent en eux-mêmes un jugement tels qu’extrémiste ou terroriste).  

De plus, l’outil est sensible au genre, c’est-à-dire qu’il reconnaît que les rôles assignés aux genres, les inégalités et les attentes en matière de genre ont un impact sur la vie des gens et que par conséquent, les programmes et les pratiques doivent être conçus en prenant en compte les facteurs spécifiques au genre.

Des fiches de synthèse utiles

Outre la publication Se mettre à la place de l’autre, les partenaires icommit ont produit cinq fiches de synthèse : trois études de cas de villes partenaires du projet – Luton (Royaume-Uni), Malines (Belgique), et Strasbourg (France) –, une quatrième sur les modèles de collaboration multipartite et la cinquième sur le DesistKit.

La publication et les fiches (en français, anglais et allemand) sont libres d’accès (membres et non membres de l’Efus). (Pour le moment, à partir du site web icommit et prochainement ici sur le site Efus).

À lire :

* Mené par leViolence Prevention Network, le projet icommit avait pour partenaires le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus), le Centre allemand de Recherche appliquée sur la Déradicalisationmodus zad, et l’Université de Bucarest (Roumanie). 

** La prévention primaire se réfère aux activités telles que le renforcement de la cohésion sociale. La prévention secondaire se réfère aux interventions auprès d’individus en risque de ou déjà engagé dans la radicalisation. La prévention tertiaire se réfère aux interventions auprès d’individus à risque ou déjà engagés dans la radicalisation, y compris les individus condamnés pour des actes extrémistes ou terroristes.

*** Berlin (Allemagne), Dublin (République d’Irlande), L’Hospitalet (Espagne), Liège (Belgique), Luton (Royaume-Uni), Malines (Belgique), Skopje (Macédoine du Nord), et Strasbourg (France) 

**** Seules les versions anglaise et allemande sont disponibles à l’heure où nous publions cet article (8 novembre 2023). La version française sera mise en ligne très prochainement.