Le projet IcARUS se conclut mais ce n’est pas la fin

Lancé en 2020 dans l’objectif d’aider les acteurs locaux de la sécurité urbaine à mieux anticiper et répondre aux problèmes en analysant et modernisant leurs méthodologies et outils de travail, le projet IcARUS mené par l’Efus se conclut en août 2024. Retour sur quatre années de travail intense combinant recherche et pratiques innovantes. 

Paris, France, juillet 2024 – Les collectivités européennes font face à de multiples défis en matière de sécurité urbaine. Même si les taux de criminalité en Europe ont chuté depuis le milieu des années 1980*, une partie importante de la population se sent en insécurité et de nouvelles formes de criminalité et de troubles à l’ordre public ont émergé, telles que la cybercriminalité ou la polarisation qui peut mener à l’extrémisme violent.  

De plus, les gouvernements partout en Europe peinent depuis des années à contrôler la dette publique et ont considérablement réduit les budgets alloués aux niveaux locaux de gouvernance, tout en les chargeant de responsabilités.  

Le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus) est directement témoin de l’impact qu’ont eu et continuent d’avoir ces tendances sur ses quelque 250 villes membres.  

Comment capitaliser sur nos plus de 30 ans de pratiques de prévention et de connaissances accumulées pour aider les collectivités européennes et leurs partenaires locaux à mieux répondre aux défis de sécurité urbaine, mais aussi à les anticiper ? C’est la question à laquelle l’Efus cherchait à répondre lorsqu’il a conçu le projet IcARUS en 2020. 

Après avoir obtenu un financement du programme de recherche Horizon 2020 de l’Union européenne, l’Efus s’est embarqué dans ce projet qui a duré quatre ans et se conclut en août 2024, après une conférence finale à Liège (Belgique) à la fin juin.  

Représentant l’UE, Marta Cygan, Directrice Innovation & Audit à la Direction Migration et Affaires intérieures de la Commission européenne, a souligné pendant la conférence que « le projet IcARUS est tout à fait aligné avec l’objectif de sécurité urbaine de la Commission et de l’Union européenne, qui est de garantir la protection des citoyens et leurs droits fondamentaux ». Ce qui était particulièrement intéressant dans ce projet, a-t-elle ajouté, est que les six villes partenaires peuvent être considérées « comme des petits laboratoires de ce qu’est la vie dans un quartier où la recherche sur la pratique peut être appliquée pour tester différentes solutions ». 

Sur une période de quatre ans, plus d’une vingtaine d’ateliers de travail et de sessions de formation ont été organisés dans différentes villes européennes.

Afin de mener une recherche approfondie sur les connaissances accumulées pendant plus de trois décennies de pratiques locales de prévention et d’échanges entre villes européennes, et de pouvoir ainsi imaginer des solutions innovantes, l’Efus a mis sur pied un large consortium** qui comprenait six villes (Lisbonne, Nice, Riga, Rotterdam Stuttgart et Turin), six universités et instituts de recherche et trois organisations de la société civile et du secteur privé. Dès le début, les partenaires IcARUS se sont mis d’accord sur la méthodologie qu’ils allaient adapter et tester durant tout le projet : Design Thinking, qui est largement utilisée dans le secteur privé pour la conception de produits et services dont le principe central est d’aborder toutes les questions à partir du point de vue des utilisateurs finaux. C’était la première fois que cette méthodologie était utilisée dans le domaine de la prévention et de la sécurité.

Les partenaires ont aussi décidé de se concentrer sur quatre domaines qui préoccupent particulièrement les collectivités locales et acteurs de la prévention européennes : la prévention de la délinquance juvénile ; la prévention de la radicalisation menant à l’extrémisme violent ; la protection et la gestion des espaces publics, et la prévention et la lutte contre les trafics et la criminalité organisée. Ces quatre domaines sont aussi des priorités de l’Agenda pour la Sécurité de l’Union européenne.

Adam Crawford, Université de York et Université de Leeds

L’un des objectifs des partenaires était d’ancrer le projet sur la pratique de terrain, d’où l’idée d’associer six villes européennes qui apporteraient leur expérience et connaissance du terrain. En tant qu’utilisatrices finales du projet, elles ont été invitées à contribuer en concevant, avec les universités partenaires, un programme de prévention sur mesure qui les aiderait à répondre à un problème qu’elles jugeaient prioritaire. 

Ce fut un long processus, avec de nombreux allers-retours entre les villes et les autres partenaires et une vingtaine d’ateliers de travail et de formations. Au final, chaque ville a mis en place un dispositif, ou adapté un dispositif existant, qu’elles ont présenté aux quelque 100 délégués qui assistaient à la conférence finale à Liège. 

Il serait trop long ici de détailler chacun de ces projets, qui ont tous été mis en place ‘grandeur nature’ dans les villes partenaires, mais voici une courte description (voir plus bas le lien vers les présentations plus complètes des six dispositifs, sur le site web IcARUS) :

  • Lisbonne a travaillé sur la prévention de la délinquance juvénile avec son projet Jovem Design Lisboa (JDL), dont l’objectif est d’impliquer les jeunes dans la sécurité de leur quartier, d’améliorer leurs relations avec la police et de renforcer leurs « compétences de vie ».  
  • Nice a choisi d’adapter le dispositif Demandez Angela par lequel des établissements partenaires (bars, hôtels, restaurants, commerces…) s’engagent à offrir un refuge et une assistance aux victimes de harcèlement de rue, quel que soit leur genre. 
  • Riga a créé un programme intitulé Par drošu Rīgu! (pour un Riga sûr) qui permet à la police locale d’adapter sa tactique d’intervention en fonction des données policières et des données sur le sentiment d’(in)sécurité des citoyens.  
  • Rotterdam a souhaité associer les utilisateurs, principalement des entreprises privées, du vaste parc industriel situé près du port pour en améliorer la sécurité et prévenir l’infiltration de groupes criminels organisés. La ville a utilisé la méthodologie du World Café pour monter le Spaanse Polder Café où se retrouve régulièrement un nombre croissant de locaux.  
  • Stuttgart a choisi de sensibiliser les jeunes aux dangers de la radicalisation, en particulier via les réseaux sociaux, et de renforcer leur résilience. La ville a créé un spectacle de magie itinérant qui peut être donné dans différents types de lieux publics (centres commerciaux, places, etc.) Le but est de montrer au public les trucs que les mouvements radicaux/extrémistes utilisent pour recruter de nouveaux adeptes. 
  • Turin a décidé (comme Lisbonne) de se concentrer sur la prévention de la délinquance juvénile. La ville a créé Sbocciamo Torino (Faisons fleurir Turin), un réseau de praticiens et autres acteurs de la prévention. Ensemble, ils conçoivent des interventions dans les quartiers de Turin à l’aide d’un tableau de bord digital avec lequel ils peuvent visualiser les données pertinentes.  

Pendant la conférence, Adam Crawford, Professeur de Criminologie et de Justice pénale à l’Université de York et à l’Université de Leeds (UK) et l’un des partenaires du projet, a tiré quelques conclusions :  

« Nous avons fait tout un parcours pendant quatre ans, qui a été très productif. Je signalerais trois grands bénéfices et trois grands défis : 

– Le premier bénéfice concerne les ressources et les connaissances mises en commun entre les universitaires, les acteurs, mais aussi les citoyens. 

– Le second concerne l’expérimentation : faire quelque chose de nouveau, repousser les limites.  

– Le troisième concerne la façon dont les organisations apprennent, alors que souvent elles ne savent pas apprendre.  

– Le premier défi est de réinventer la roue par opposition à faire ce que fait tout le monde. 

– Le deuxième concerne l’échelle de temps. Les praticiens pensent au maintenant alors que les chercheurs savent que l’apprentissage et l’innovation prennent du temps. Nous devons nous occuper du présent tout en maintenant une vision sur le long terme.  

– Le troisième est que les organisations ont généralement peur du risque, notamment dans le domaine du maintien de l’ordre et de la sécurité où l’erreur peut coûter cher. Cependant, nous devons sortir du carcan du “il faut que ça réussisse” ».

Le projet IcARUS se conclut, mais ce n’est pas pour autant la fin. Les collectivités, les acteurs de terrain et les chercheurs peuvent bénéficier de tout ce travail, des connaissances et expériences accumulées (voir ci-dessous les liens vers quelques-uns des documents clés du projet). À présent, l’Efus va, avec ses partenaires, poursuivre le travail mené pendant quatre ans afin d’adapter son offre d’accompagnement à ses collectivités membres en Europe. 

Il s’agit de capitaliser sur les résultats et l’évaluation du projet pour affiner l’offre de services de l’Efus aux collectivités européennes, tels que les audits locaux de sécurité, les revues état de l’art, le parangonnage de pratiques, l’apprentissage entre pairs, les conseils stratégiques, la mise en place de projets pilotes, l’évaluation et la gestion des connaissances (notamment au travers de la formation), et le réseautage avec le secteur privé, la société civile et le monde de la recherche. 

* La recherche menée dans le cadre du projet IcARUS montre que la prévention a joué un rôle important dans la baisse des taux de la criminalité “traditionnelle” (propriété et délits publics). Elle montre aussi qu’en dépit de son “succès”, la prévention continue à manquer de ressources et à être mal mise en œuvre.
** Le consortium IcARUS : Coordination du projet : Efus – Collectivités : ville de Lisbonne (PT), ville de Nice (FR), ville de Riga (LV), ville de Rotterdam (NL), ville de Stuttgart (DE), et villes de Turin (IT) – Universités et partenaires de recherche : Salzburg University of Applied Sciences (AT); Erasmus University of Rotterdam (NL); Panteion University (GR); University of Salford (UK); University of Leeds (UK); IDIAP Research Institute (CH); KEMEA (GR) – Organisations de la société civile et du secteur privé : Plus Ethics (ES), Makesense (FR), Camino (DE) – Dissémination et communication : Loba (PT)

> Lire The Changing Face of Urban Security: A Review of Accumulated Learning, la recherche menée par l’Université de Leeds

> Les principaux résultats de la recherche menée au cours d’IcARUS sont ici

> Voir ici pour une présentation de chacun des six projets développés par les villes partenaires 

> Explorer le site web IcARUS pour découvrir les articles, fiches de synthèse et documents de recherche du projet 

> Plus d’information sur le site web Efus / section IcARUS