Rimini, Italie, mai 2017 – « Nous devons promouvoir une approche globale contre la radicalisation sinon nous risquons de négliger les autres formes que peut prendre ce phénomène. Nous devons le faire maintenant, plutôt que de prendre conscience de ces nouvelles menaces dans quelques années seulement. » Avec ces mots, le président récemment élu de l’Efus, le maire de Liège (BE) Willy Demeyer, soulignait le risque inhérent aux politiques actuelles en matière de lutte contre la radicalisation, qui sont largement centrées sur le seul extrémisme islamiste.
Lors de son allocution d’ouverture du quatrième séminaire LIAISE 2, M. Demeyer exprimait une position similaire à celle prise par le Commissaire européen chargé de l’Union de la sécurité, Julian King, qui a mis en garde, en mars 2017, contre la résurgence de mouvements d’extrême-droite en Europe. Ce séminaire était co-organisé par l’Efus, le Forum italien pour la sécurité urbaine (FISU) et la ville de Rimini (IT).
Dans l’objectif de sensibiliser les participants sur cette question, notamment les Italiens étant donné la nature relativement récente du problème en Italie, le séminaire avait pour thème la dynamique de cause à effets du binôme polarisation-radicalisation et comment celui-ci affecte les sociétés européennes.
La première table ronde était consacrée à l’interaction entre les deux processus : d’une part la radicalisation menant à l’extrémisme violent, et de l’autre la polarisation comprise comme un processus au cours duquel les différences entre des groupes sociaux sont accentuées, ce qui peut engendrer des tensions accrues.
Le Dr. Eolene M. Boyd-MacMillan, chercheuse au département de Psychologie de l’Université de Cambridge (GB), a expliqué comment fonctionne cette interaction, présentant ce problème avec une approche collective tout en expliquant ses effets sur la psychologie des individus. Elle a décrit la polarisation comme un processus dynamique qui peut amener à la dépersonnalisation et la déshumanisation et créer un cercle vicieux dysfonctionnel de plus en plus difficile à casser. Ceci prend forme au travers de réseaux de relations de groupe et d’écosystèmes sociaux.
Après avoir expliqué cette dynamique de cause à effets, Mme Boyd-MacMillan a présenté quelques outils de prévention qui sont pour la plupart destinés à renforcer l’empathie des communautés et des individus, leur pensée critique et leur compassion. Le projet « Being Muslim, Being British » (être musulman, être britannique) a été présenté pour illustrer cette approche préventive. La chercheuse britannique a aussi évoqué la méthodologie de la complexité intégrative qui permet de mesurer à quel point quelqu’un pense en termes noir et blanc et donc voit le monde sous le prisme du « eux et nous ».
La deuxième table ronde était consacrée à la situation en Italie en matière de radicalisation : comment ce phénomène prend forme et comment les politiques nationales y répondent.
Le Dr. Rosella Selmini, professeur à l’Université du Minnesota (US), a pour sa part évoqué les mouvements d’extrême-droite qui organisent des actions contre les immigrés dans certaines banlieues en Italie, tel le mouvement CasaPound. Le Dr. Selmini a souligné combien la couverture de tels événements dans les médias, de même que l’ambiguïté de certaines réactions politiques, pouvaient contribuer à accroître la stigmatisation et la polarisation dans les années à venir. Elle a ainsi appelé à des prises de position plus claires, en particulier des autorités, contre les actes violents visant les migrants et a souligné l’importance de continuer à promouvoir les mesures de prévention sociale.
Le Dr. Lorenzo Vidino, Directeur du Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington (US), et membre de la commission chargée d’élaborer le premier plan anti-radicalisation du gouvernement italien, a présenté les principaux points de ce document.
Notamment, celui-ci prévoit la mise en place de plates-formes pluridisciplinaires qui seraient chargées de gérer les cas de radicalisation.
Tout en reconnaissant les difficultés d’une telle approche dans le contexte italien, principalement en raison du peu d’appétit des forces de l’ordre pour le travail avec des acteurs non institutionnels, M. Vidino a souligné le rôle important que la société civile et les acteurs communautaires seront amenés à jouer, selon le document de travail.
À la suite de ces présentations, un débat a eu lieu avec le public sur le fait que les décideurs politiques italiens d’aujourd’hui sont davantage préoccupés par le radicalisme islamiste parce qu’ils ne perçoivent pas la menace potentielle d’autres formes de radicalisme, notamment les mouvements d’extrême gauche et droite, en dépit des dommages causés par ces idéologies en Italie dans le passé, notamment durant les « années de plomb » des décennies 1970 et 1980.
La troisième table ronde était consacrée à la présentation d’initiatives locales dont la valeur ajoutée consiste en leur approche globale de toutes les formes de radicalisation.
La première expérience a été présentée par Luca Guglielminetti, membre de l’association culturelle italienne Leon Battista.
Soulignant que les medias jouent un rôle clé pour donner de la visibilité au terrorisme et à la propagande, il a donné plusieurs exemples de ce qu’il appelle « la pédagogie de la tolérance » au travers du témoignage de victimes. Il a souligné l’importance de répondre aux malaises dans la société pour éviter que la propagande extrémiste ne les utilise, un point qu’il a illustré avec le projet C4C (Counter-Narration for Counter-Terrorism / contre-discours pour contre-terrorisme), soutenu par la Commission européenne.
La deuxième expérience locale était présentée par Anna Rau, membre du Conseil de prévention de la criminalité de Basse-Saxe (DE). Elle a expliqué comment les différents services de cet organisme travaillent sur différentes formes de radicalisation, ce qui permet de prendre en compte toutes les manifestations de ce phénomène.
Mme Rau a insisté sur l’assistance aux praticiens locaux, notamment ceux qui travaillent avec les jeunes, lorsqu’ils ont des doutes ou des inquiétudes sur des cas possibles de radicalisation. Elle a également présenté des programmes au travers desquels les jeunes sont appelés à s’engager et agir contre la propagande extrémiste.
La dernière table ronde était une session de travail consacrée à l’élaboration des recommandations de l’Efus sur la prévention de la radicalisation menant à l’extrémisme violent. Un débat animé par Elizabeth Johnston, déléguée générale de l’Efus, a été organisé entre le public et trois élus locaux de collectivités membres de l’Efus :
Willy Demeyer, maire de Liège (BE), Jordi Jané, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Catalogne (SP) et Carmella Rozza, maire adjoint en charge de la sécurité de la ville de Milan (IT).
Jané a souligné que la médiation, si elle est utilisée par les acteurs locaux, peut être un moyen efficace de prévenir la polarisation et la radicalisation. Il a souligné l’importance des acteurs de proximité, notamment la police locale, pour prévenir la radicalisation à l’échelle des communautés locales. Un point également évoqué par Mme Roza, qui a souligné que la police de proximité peut jouer un rôle clé dans la prévention de ces deux processus. Cependant, il existe, a-t-elle dit, un risque de stigmatisation si l’on cible les interventions sur une communauté en particulier.
Demeyer, après avoir souligné l’importance de la prévention, de l’échelon local et de la coopération européenne, a évoqué le rôle stratégique que peut jouer l’Efus dans la poursuite de ces objectifs de prévention de la radicalisation, qui sont largement partagés par les acteurs européens.
Dans le cadre du travail en cours pour l’élaboration de recommandations sur la prévention de la radicalisation destinées à figurer dans le nouveau manifeste de l’Efus, d’autres débats seront organisés lors de la conférence internationale « Sécurité, Démocratie & Villes : Coproduire les politiques de sécurité urbaines » de Barcelone, les 15, 16 et 17 novembre 2017.