Le guide Efus sur les audits de sécurité : Un guide pour mieux comprendre les nouveaux défis de la sécurité urbaine

Brève histoire des audits de sécurité promus par l’Efus

Il est essentiel d’avoir une vision claire de la sécurité dans un territoire donné et de prendre en compte la façon dont différents groupes de population la perçoivent afin de mettre en oeuvre des politiques de sécurité véritablement efficaces. Le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus) promeut de longue date une telle approche, qui est essentielle. Publié en 2008, le Guide sur les audits locaux de sécurité – synthèse de la pratique internationale affirmait l’ambition de l’Efus de systématiser la collecte de données probantes dans ses projets et dans ses activités de soutien aux villes membres. Dans une nouvelle publication datée de 2016, Méthodes et outils pour une approche stratégique de la sécurité urbaine, l’Efus inscrivait les audits de sécurité dans un cadre plus large, celui de l’Approche stratégique de la sécurité urbaine.

L’approche stratégique de la sécurité urbaine promue par l’Efus

Cette approche consiste en cinq éléments (Efus, 2016) :

  • L’audit de sécurité : connaître, comprendre et analyser le contexte de sécurité local.
  • La stratégie : traduire ces données en objectifs généraux et spécifiques.
  • L’action : élaborer un plan d’action et le mettre en oeuvre de façon efficace.
  • L’évaluation : évaluer la mise en place et l’impact des actions.
  • Mobilisation et participation : veiller constamment à associer tous les acteurs pertinents et employer des méthodes participatives.

Cette approche circulaire est fondée sur des principes d’inclusion, de participation et d’évaluation. Le principe central de l’audit de sécurité est d’acquérir une connaissance approfondie des problèmes de sécurité d’un territoire donné de façon à ce que les stratégies qui en résultent répondent bien aux besoins réels.

 De nouveaux outils, de nouvelles méthodes et une priorité aux processus participatifs.

 Après la publication de Méthodes et outils pour une approche stratégique de la sécurité urbaine en 2016, l’Efus a continué à travailler sur des projets et des partenariats qui nourrissent son répertoire d’outils et de méthodes destinés aux acteurs de la sécurité à l’échelle locale et régionale. L’approche et la méthodologie du projet Cutting Crime Impact (CCI) l’amènent à présent à actualiser son approche stratégique de la sécurité urbaine. En effet, la prise en compte directe des besoins et des attentes des utilisateurs finaux (pour le cas de CCI, la police et les décideurs en charge des politiques de sécurité) est l’un des principes clés de la méthodologie CCI, qui utilise des outils et méthodes permettant de collecter des informations à la source, tels que groupes de parole, immersion, tenue d’un journal et insta-ethnographie.

Dans un monde où les problèmes de sécurité auxquels les collectivités territoriales sont confrontées évoluent constamment, il est d’autant plus important d’avoir des outils adéquats pour mesurer ceux-ci. Les initiatives citoyennes se multiplient et le public est de plus en plus appelé à participer autant à la conception qu’à la mise en oeuvre des politiques de sécurité urbaine. Mais trop souvent, cette participation se réduit à une simple consultation tandis que la coproduction des politiques de sécurité urbaine est considérée comme trop difficile à mettre en oeuvre. De plus, la crainte de conséquences imprévues peut décourager les collectivités territoriales de se lancer dans un tel processus participatif (Efus, 2016).

En multipliant les sources d’information et en créant un environnement où le vécu et la perception de chaque groupe de population en matière de sécurité urbaine est véritablement pris en compte, l’audit de sécurité favorise la coproduction de politiques de sécurité qui reflètent les besoins des habitants. Inclure un éventail représentatif et varié d’acteurs est une première étape vers la coproduction, notamment les organisations de la société civile telles que les conseils locaux de sécurité, les centres de jeunesse, ou encore les associations représentant les groupes minoritaires, les parents et les enseignants.

Le sentiment d’insécurité comme indicateur d’un contexte local de sécurité urbaine

Dans son Manifeste 2017, l’Efus s’engage à « cibler les types de victimisation sous-représentés et marginalisés (…) de manière à assurer que nos connaissances sur de tels phénomènes et les moyens efficaces de les combattre progressent » (Efus, 2017, p. 38). Certains types de crimes et délits causent un sentiment d’urgence plus fort que d’autres mais il est important de rappeler que les citoyens sont en général davantage soucieux de leur sécurité quotidienne et de leur sentiment de sécurité. Le fait que ce sont souvent les personnes les moins victimisées qui craignent le plus pour leur sécurité est appelé « le paradoxe de la peur du crime » dans la littérature de criminologie.

Le sentiment d’insécurité a un impact non seulement sur les individus mais aussi sur le bien-être collectif et il peut influer sur le comportement politique et économique de la population, de même que sur son comportement dans et son utilisation des espaces publics. C’est pourquoi le guide actualisé sur les audits de sécurité met l’accent sur les moyens d’identifier le sentiment d’insécurité.

Le projet CCI s’attache entre autres à mesurer et mitiger le sentiment d’insécurité. En général, les enquêtes de victimisation incluent des questions sur le degré de préoccupation des personnes interrogées à propos de la délinquance afin de mesurer le niveau de la peur du crime. La recherche CCI estime que la « peur du crime » recouvre en réalité une gamme de réactions émotionnelles et de processus cognitifs. Si l’on met uniquement l’accent sur la « peur du crime », on risque d’ignorer toutes les nuances du sentiment d’insécurité des gens.

Le Design Against Crime Solution Centre de l’Université de Salford a élaboré un cadre conceptuel qui permet d’opérationnaliser les différentes facettes du sentiment d’insécurité ayant un impact sur l’expérience vécue. Le modèle « Sentiment d’insécurité » comprend des informations individuelles telles que « vulnérabilité situationnelle présumée », « anxiété situationnelle » et « peur» » face à une menace immédiate. À cela s’ajoutent des informations portant sur l’après-victimisation : « choc, colère et tristesse » immédiats et processus à plus long terme pour digérer/gérer la victimisation. Un troisième groupe de données porte sur la rationalisation de cette expérience lorsque l’individu la partage avec parents, des amis et des voisins et la transforme en préoccupations ou anxiété sociétales et en priorités politiques.

Ainsi, ce modèle cherche à illustrer la façon dont le contexte du sentiment d’insécurité à la fois alimente celui-ci et est alimenté par l’expérience individuelle. Il est important d’identifier cette structure conceptuelle d’une façon qui permette de bien le comprendre et d’agir, notamment lorsqu’on étudie des groupes démographiques ou des situations spécifiques. Comprendre comment les différents facteurs influent sur « l’insécurité » est fondamental pour élaborer des stratégies qui permettent effectivement d’en mitiger l’impact (Davey et Wootton, 2019).

« Avoidance mapping » (cartographie des zones évitées) pour donner aux jeunes défavorisés l’occasion de se faire entendre

Un exemple d’outil participatif qui permet de mieux comprendre le sentiment d’insécurité des habitants est le Avoidance Mapping[1]  (cartographie des zones évitées). Perfect City est un groupe de travail basé à New York qui promeut l’engagement civique des groupes de population marginalisés et encourage la rénovation des espaces publics en collaboration avec les habitants. Perfect City opère dans le Lower East Side en dialoguant avec les habitants sur leur expérience de la gentrification de leur quartier, qui pousse les autochtones à quitter celui-ci, et de la sécurité. L’organisation a mis au point un outil de cartographie qui permet aux habitants de visualiser la façon dont ils se déplacent dans le quartier et les zones qu’ils évitent au quotidien. Ce travail sur l’expérience notamment des jeunes permet de comprendre comment ils perçoivent leur ville, notamment en matière de sécurité.

La cartographie des zones évitées permet de collecter des points de vue différents et d’établir une conversation sur les préjugés, l’exclusion et le déplacement et comment ceux-ci affectent la perception qu’ont les jeunes de la sécurité dans leur quartier. Perfect City a développé des versions du Avoidance Mapping qui s’appliquent aux victimes de violence domestique dans un refuge de New York et ont démarré un travail avec des jeunes de Cleveland (Ohio).

Un nouvel espace sur Efus Network pour l’échange de pratiques et d’expériences

 Nous avons ouvert un nouvel espace dédié sur notre plateforme en ligne Efus Network qui comprendra les méthodes et outils utilisés par les partenaires du projet CCI ainsi que ceux d’autres projets menés par l’Efus pour mieux comprendre, mesurer et mitiger le sentiment d’insécurité. Leur expérience informe le cadre conceptuel développé par les chercheurs de CCI et souligne combien il est important de prendre en compte le sentiment d’insécurité dans l’élaboration d’une stratégie de prévention et de sécurité.

Ainsi, les outils utilisés par l’État de Basse-Saxe (Allemagne) et le département (ministère) de l’Intérieur du gouvernement de Catalogne (Espagne) comprennent des enquêtes conçues spécifiquement pour mesurer les différents aspects de l’insécurité ainsi que des marches exploratoires pour encourager la participation des habitants.

Inspiré par les enseignements du projet CCI et les échanges que l’Efus entretient avec les villes et régions d’Europe et d’autres continents, le guide sur les audits de sécurité servira de support aux collectivités territoriales dans leurs efforts pour mieux comprendre le contexte de sécurité dans leur territoire et améliorer le processus de collecte des informations pour le rendre plus inclusif et représentatif.

Les membres de l’Efus peuvent dès à présent trouver des informations sur l’approche stratégique et les audits de sécurité ici sur Efus Network, ainsi que des fiches de pratique sur les outils et des exemples d’utilisation.

Une version de cet article a été publié dans le numéro d’octobre de la newsletter du projet CCI.


Références

Efus (2016) Méthodes et outils pour une approche stratégique de la sécurité urbaine, disponible sur : https://efus.eu/fr/resources/publications/efus/11191/

Efus (2018) Manifeste Sécurité, Démocratie et Villes – coproduire les politiques de sécurité urbaine publié à l’issue de la conférence internationale Sécurité, Démocratie et Villes  organisée par l’Efus, la Ville de Barcelone et le Gouvernement de Catalogne les 15-17 novembre 2017, à Barcelone. Disponible sur : https://efus.eu/fr/resources/publications/efus/3779/

Efus (2007) Guide sur les audits locaux de sécurité – synthèse de la pratique internationale, disponible sur : https://issuu.com/efus/docs/efus_safety_audit_f_web_61c0ac6ea0dd07

Davey et Wootton (2019), PIM Toolkit 4: Report on feelings of insecurity – Concepts and models adapted from Davey, C.L., & Wootton, A.B. (2014) “Crime and the Urban Environment: The Implications for Wellbeing”, in Wellbeing. A Complete Reference Guide (Eds) Burton, R., Davies-Cooper,R. and Cooper, C. Wiley-Blackwell: Chichester (UK)

Newsletter du projet CCI, octobre 2020

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