Novembre 2024 – Alors que les technologies de sécurité se généralisent dans nos espaces publics et privés, nous, les citoyens, nous sentons de plus en plus impuissants parce que nous les méconnaissons et que nous redoutons d’être sous surveillance permanente.
Comment rapprocher les technologies de sécurité et les citoyens ? Le projet européen TRANSCEND, coordonné par Trilateral Research Ireland et dont l’Efus est partenaire, travaille sur cette question depuis deux ans. Le projet doit durer encore une année.
Rencontre avec Leanne Cochrane, coordinatrice scientifique du projet et responsable du pôle Crise et Sécurité à Trilateral Research.
En quoi consiste le projet TRANSCEND, en quelques mots ?
Leanne Cochrane : Ce projet cherche à améliorer la participation de la société civile en matière de technologies de sécurité et à évaluer ses besoins. Ainsi, nous testons différentes méthodes dans des contextes de recherche en sécurité « en direct ». Les technologies de sécurité sont de plus en plus présentes dans nos vies et les citoyens en sont conscients, mais ils sont en fait peu impliqués. Cet écart entre le développement et la société civile peut générer de la méfiance mais aussi freiner le développement de technologies qui répondent réellement aux besoins des citoyens et prennent en compte la diversité de leurs expériences.
Comment sait-on que la société civile est peu associée à la recherche et au développement de technologies de sécurité ? Existe-t-il des études ?
Nous avons fait des recherches sur la participation des organisations de la société civile (OSC), mais il faut souligner que celles-ci ne représentent qu’un aspect de la société civile, même s’il est important. Nous avons cartographié la participation des OSC dans les projets de recherche européens et avons produit un rapport qui est accessible sur le site web du projet TRANSCEND*.
Ce rapport montre que lors de la mise en œuvre du Programme de Recherche sur la Sécurité de l’UE au cours des années, la participation des citoyens à la recherche sur la sécurité était faible, même si les citoyens sont justement les destinataires des technologies, procédures et méthodologies développées dans les projets. Depuis quelques années, un certain nombre de mesures ont été adoptées pour répondre à cette carence. Notamment la systématisation des principes de Recherche et d’Innovation Responsable et l’ouverture des appels à projets de recherche à ceux qui traitent des préoccupations de la société et demandent la participation de la société civile, principalement au travers de la participation des OSC. Ainsi, notre rapport note que dans les 438 projets Horizon 2020 de l’UE, un total de 318 acteurs intervenant en tant que coordinateurs, participants ou partenaires entrent dans notre cartographie des OSC. En ce qui concerne les 107 projets Horizon Europe, ce chiffre s’établit à 252.
Il faut savoir que chaque projet comprend plusieurs acteurs, comme par exemple 12 organisations partenaires. Par ailleurs, nous allons prochainement publier des travaux sur le paysage complexe de la société civile et le rôle qu’y jouent les Organisations de la Société Civile. Nous encourageons vos lecteurs à consulter régulièrement notre site web.
Pourquoi est-ce un problème que la société civile soit peu associée à la R&D ?
Parce que cela affecte la valeur démocratique de l’environnement de la recherche et du développement en Europe. C’est notamment un problème dans le domaine de la sécurité où de nombreuses mesures destinées à répondre aux problèmes de sécurité sont marquées par un équilibre délicat entre différentes valeurs sociales. D’un point de vue plus pratique, cela affecte le niveau d’acceptation sociale des résultats des projets, car les utilisateurs finaux – les citoyens – sont moins enclins à adapter ou appliquer les technologies de sécurité parce que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte dans la conception de ces technologies.
« La plupart des citoyens ne savent pas comment être associés au développement des technologies de sécurité, tandis que les chercheurs ne sont pas toujours conscients des préoccupations des citoyens »
Quels sont les principaux freins à la participation de la société civile ?
Il existe un ensemble complexe de facteurs, mais on peut citer principalement le manque de connaissances et de ressources, à la fois financières et en termes de compétences. La plupart des organisations de la société civile sont petites ; elles n’ont pas suffisamment de fonds et manquent de formation et de compétences pour participer à la recherche en sécurité. Parfois, elles ne souhaitent pas être associées. Par ailleurs, si l’on considère la société civile de façon plus large, on constate que la majorité des citoyens ne savent pas comment participer et qu’il n’existe pas non plus d’occasions pour les citoyens de participer, même s’ils sont souvent directement affectés par les technologies de sécurité. De leur côté, les chercheurs ont souvent du mal à expliquer les technologies qu’ils développent et ne sont pas toujours conscients des préoccupations des citoyens. Ils ne savent pas non plus comment les impliquer. Il n’y a pas assez de communication et il y a trop de silos.
Enfin, comme je le signalais auparavant, il y a une tendance à mélanger la société civile et les organisations de la société civile (OSC). Si les OSC représentent une part importante de la société civile, le plus souvent pour défendre tels ou tels intérêts spécifiques des citoyens, les intérêts d’une grande partie de la population de l’UE risquent de ne pas être pris en compte dans cette approche qui privilégie les OSC. Selon le type de recherche qui est menée, cela signifie qu’il faut faire un effort pour entrer en contact avec les citoyens dans les lieux où ils se réunissent habituellement, comme les écoles, les maisons de quartier, les lieux de sport, ou de culte, etc.
Quels seraient les avantages d’un dialogue plus proche entre chercheurs et citoyens en matière de technologies de sécurité ?
Si nous arrivons à réduire cet écart, le développement de technologies sera plus durable et transparent et surtout, il suscitera davantage la confiance du public. La technologie devrait refléter l’ensemble des préoccupations des citoyens en matière de sécurité et ne pas comprendre d’aspects discriminatoires. Ceci est d’autant plus important à l’ère de l’intelligence artificielle, qui est fondée sur les algorithmes et sur l’utilisation de données, ce qui amplifie le risque d’incorporer des facteurs discriminatoires déjà présents dans les données disponibles.
Comment le projet TRANSCEND favorise un tel dialogue ?
L’un de nos objectifs est de produire une boîte à outils que peuvent utiliser les municipalités, les organisations de la société civile, les acteurs de la sécurité, les institutions publiques, les gouvernements, mais aussi les développeurs. Cette boîte à outils est délibérément destinée à un public large.
Un autre ‘produit’ du projet sera nos quatre documents de synthèse politique destinés aux décideurs politiques de niveau local et national. Nous préparons également un module de formation pour les organisations de la société civile et les acteurs de la sécurité. Enfin, nous organiserons à l’automne 2025, lors de la conclusion du projet, un sommet TRANSCEND auquel nous inviterons un large éventail d’acteurs. Les personnes intéressées peuvent déjà signaler leur intérêt sur le site web TRANSCEND.
Tous nos travaux demeureront accessibles après la conclusion du projet sur notre communauté Zenodo et sur la base de données de la Commission européenne des résultats des projets financés par les programmes de recherche et d’innovation de l’UE.
Quel message auriez-vous pour les collectivités membres du Forum européen pour la sécurité urbaine ?
Associer les citoyens a beaucoup d’avantages et c’est tout à fait faisable, même si pas toujours aisé. Les bénéfices qu’en tireront les collectivités sont bien plus importants que les coûts. Nous espérons que les outils que nous développons au sein du projet TRANSCEND aideront les collectivités qui cherchent à associer davantage les citoyens et à dialoguer avec eux pour que les technologies de technologies répondent mieux à leurs préoccupations et représentent mieux la pleine diversité de la société civile. Les collectivités intéressées peuvent suivre l’actualité du projet sur notre groupe LinkedIn.
* Landscape of security research: CSO Mapping, Strategies and Best Practices for Citizen and Societal Engagement (en anglais seulement)
> Les principaux résultats en date du projet TRANSCEND sont accessible ici
> Plus d’informations sur le site web de l’Efus et sur le site du projet