Comment la diplomatie au 21e siècle peut-elle servir comme outil de prévention des tensions et des conflits, notamment, au niveau local ?
Georges Habsbourg-Lorraine : Naturellement, la diplomatie a changé au cours de ces dernières années car nous disposons aujourd’hui de moyens de communication qui n’existaient pas il y a 100 ou 50 ans. Néanmoins, il faut garder en tête que le diplomate n’est pas un outil technique, comme un ordinateur qui recevrait et donnerait des informations. Nous les diplomates avons la possibilité de rencontrer et de parler avec les gens, d’engager une discussion ouverte avec d’autres diplomates et élus. Le diplomate a un point de vue bien plus proche des réalités que toutes les informations qui circulent sur internet.
La diplomatie doit toujours s’adapter à la situation sur place, c’est un outil clé de la représentation. Le diplomate représente son pays là où il est envoyé.
En ce qui concerne la sécurité, la diplomatie est un outil nécessaire pour éviter les conflits. Développer des collaborations et coopérations pour trouver une solution pacifique aux conflits est l’un des objectifs clés de cet outil diplomatique.
Selon vous, quels sont les défis majeurs de sécurité urbaine à l’heure actuelle ?
On observe un exode rural au profit des grandes villes qui attirent de nouveaux habitants partout dans le monde. En Europe, il n’y a malheureusement pas toujours assez de logements pour les personnes qui veulent s’installer dans l’espace limité des villes. Naturellement, cette situation – où les citoyens vivant ensemble dans un espace délimité et qui ont potentiellement aussi une grande diversité culturelle, religieuse et des écarts dans leur situation socio-économique – peut être à l’origine de multiples tensions et conflits. Actuellement, cette surpopulation est un défi important auxquels les collectivités territoriales, notamment les grandes villes, doivent faire face.
Heureusement, il y a des organisations qui cherchent à trouver des solutions et à atténuer les tensions au niveau local. Pour garantir le maintien de l’ordre, on peut toujours se tourner vers les outils technologiques. Néanmoins, l’éducation et la sensibilisation des citoyens sont à mon avis un outil plus apte, agile et pertinent pour prévenir et atténuer ces conflits.
Lors d’une conférence à l’Université Texas Tech en 2013, vous avez mentionné que l’une des valeurs ajoutées de l’Union européenne est qu’elle garantit un certain niveau de sécurité et ainsi de stabilité à ses citoyens. D’après vous, au sein de cette Union, quel rôle les villes – en tant que niveau le plus proche des citoyens – peuvent-elles jouer, en coopération avec les institutions européennes, dans le renforcement de la sécurité et de la stabilité des citoyens ?
Quand j’étais au Texas, je n’ai pas parlé spécifiquement de la sécurité dans les villes. Ma réflexion était que l’Union européenne a connu un énorme succès parce qu’elle a réussi à unir différents pays européens qui, depuis sa création, vivent en cohabitation pacifique. L’histoire du continent au XXe siècle a été marquée par des conflits qui ont déstabilisé la vie des citoyens : les deux guerres mondiales, la séparation du continent européen par le Mur de Fer entre l’Est et l’Ouest, le communisme, le national-socialisme, le fascisme. Nous avons connu une multitude de traumatismes, avec des millions de morts et de grandes catastrophes. Il n’existe pas d’événement plus destructeur qu’une guerre, qui peut anéantir en deux semaines ce que la paix a construit pendant 40 ans ou même beaucoup plus.
Après de telles horreurs, l’Union européenne a pu consolider la situation et assurer la paix, base indispensable de la stabilité et la sécurité. C’est cette stabilité qui a permis un développement économique dans les différents pays, et quand des pays voisins se développent économiquement, cela réduit des risques de conflits. La paix, la stabilité, la sécurité et le développement économique vont ensemble. Malheureusement on a plutôt tendance à mettre l’accent uniquement sur l’aspect économique en oubliant le reste, qui est pourtant crucial.
Si l’Union européenne fonctionne bien et que l’économie fonctionne aussi, cela assure naturellement une stabilité des villes et des régions. Dans les villes économiquement prospères où la grande majorité des citoyens dispose d’un bon niveau de vie, on observe un taux de criminalité relativement bas.
Au sein de l’Union européenne, quels outils de gouvernance multi-niveaux vous paraissent les plus appropriés pour gérer des crises sanitaire et environnementale, sachant que de telles crises peuvent alimenter des tensions et polariser la société ?
L’Union européenne a vu juste en accordant de l’importance aux différents niveaux de gouvernance. Dès le Traité de Maastricht, l’un des traités les plus importants pour l’UE, le principe de subsidiarité a été renforcé. Cela signifie que l’entité la plus grande ne doit pas s’occuper des problèmes que l’entité plus petite peut résoudre d’une manière plus efficace et adéquate. Ainsi, si une ville peut trouver une solution à un problème, il n’est pas nécessaire que la région, ou le gouvernement national ou une entité supra-nationale interviennent.
Ce principe permet d’avoir une structure et un fonctionnement qui donnent plus de responsabilité aux entités plus petites. Cette approche est très pertinente, car ce sont les acteurs sur place, comme les élus locaux et le conseil municipal, qui connaissent le mieux la réalité vécue par les citoyens au quotidien, et pas les dirigeants dans la capitale. Si l’on respecte le principe de subsidiarité et si les entités aux échelons supérieurs sont plus à l’écoute de ce que les différentes collectivités territoriales ont à dire, la coopération pourrait être renforcée et permettre d’avoir des solutions meilleures aux problèmes.
Dans un entretien au Figaro*, vous affirmez être « un Européen convaincu, car un Habsbourg antieuropéen, cela n’existe pas ». Comment peut-on, avec l’aide des collectivités territoriales, rapprocher l’UE des citoyens ?
Il est tout à fait clair qu’un Habsbourg antieuropéen, cela n’existe pas. Néanmoins, je dois aussi mentionner que tout ce qui se passe dans l’Union européenne n’est pas toujours positif. Il faut reconnaître les problèmes et, si cela est justifié, moderniser le fonctionnement de l’UE en s’adaptant au contexte et aux défis actuels.
J’ai naturellement été ravi quand l’Union européenne a lancé l’initiative de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Il est primordial de parler davantage d’Europe et de la rapprocher des citoyens qui ne comprennent pas toujours son fonctionnement et ce qui s’y décide. Aujourd’hui, dans les médias, on parle plutôt de l’UE quand il y a des problèmes et des difficultés, comme la crise économique ou sanitaire. Le sujet européen est souvent traité avec des connotations négatives, en passant sous silence le succès incroyable de l’Union européenne : une stabilité de plus de 50 ans jamais connue auparavant.
Afin d’engager les citoyens dans une réflexion commune, il est nécessaire de leur donner la possibilité de songer à ce qu’ils pensent de l’Europe du futur, à ce qu’ils attendent de l’Europe, aux suggestions qu’on peut donner à l’UE pour que les choses fonctionnent mieux et à la façon de rapprocher l’UE des citoyens.
Je suis très heureux que la Hongrie soit l’un des pays où le plus grand nombre d’événements aient été organisés dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Les citoyens hongrois qui ont participé aux différents événements ont formulé leurs recommandations aux institutions européennes.
Un problème que je remarque quelques fois ici en France c’est qu’on n’y connaît pas très bien l’Europe centrale. On ne connaît pas son histoire sur les 100 dernières années, alors que cela permettrait de mieux comprendre les liens entre l’héritage historique et culturel de cette partie de l’Europe et les politiques qui y sont menées. Cela marche aussi dans l’autre sens. En Europe centrale, on ne connaît pas bien non plus l’histoire française, ni comment la situation y a évolué et changé depuis un siècle. De même, une telle connaissance nous aiderait à mieux comprendre pourquoi les décisions sont prises en France de telle ou telle manière.
Je crois que la Conférence sur l’avenir de l’Europe peut nous aider à mieux nous connaître, à devenir plus sensibles et réceptifs à nos histoires et cultures respectives et ainsi de mieux de comprendre certaines décisions.
Aujourd’hui, l’énorme majorité des citoyens européens est en faveur de l’Europe et voit ce que l’Union européenne nous a apporté. Néanmoins, il est indispensable de les associer au futur développement de l’UE. Nous avons réussi à créer cette Union, mais un travail collectif est nécessaire pour continuer à la faire fonctionner et à l’améliorer.
Comment pourrait-on mieux intégrer les citoyens dans la coproduction de la sécurité urbaine ?
En un mot : l’éducation. Le terme éducation fait référence à plusieurs types d’activités, pas uniquement l’éducation scolaire. L’éducation est tellement riche de possibilités qu’on peut adapter les méthodes aux publics concernés, afin qu’elle ait le plus d’effets positifs et de résonance possible. On peut, par exemple, penser à l’éducation à travers le sport, parce qu’il offre des activités collectives et permet de trouver des solutions aux conflits d’une manière sportive et ludique. L’éducation peut aussi se faire à travers la musique : apprendre à jouer d’un instrument, passer du temps ensemble, faire de la musique ensemble permet de vivre une expérience commune. Ces outils éducatifs sont internationaux et dépassent les différences entre les citoyens. Naturellement, l’éducation scolaire reste la base qui donne des outils clés aux jeunes pour leur vie en société.
On voit ainsi que l’éducation fait référence à tellement de domaines et d’approches que ses possibilités sont infinies. Chaque ville, région et pays adapte les différentes formes d’éducation à son contexte et ses défis. C’est un domaine dans lequel les organisations européennes peuvent faciliter l’échange de bonnes pratiques entre villes et régions pour inspirer leurs pairs.
*https://www.lefigaro.fr/international/un-habsbourg-ambassadeur-de-hongrie-en-france-20210402
Biographie
Petit-fils de Charles 1er, dernier empereur d’Autriche et dernier roi de Hongrie, Georges Habsbourg-Lorraine est né en 1964 en Allemagne. Après des études de droit, d’histoire et de sciences politiques en Autriche, en Allemagne et en Espagne, il travaille dans plusieurs entreprises de télévision et de communication. Il s’installe en Hongrie en 1992 où il obtient la citoyenneté hongroise. En 1996, il est nommé ambassadeur itinérant. En janvier 2005, il accepte la présidence de la Croix-Rouge hongroise. En décembre 2020, il est nommé ambassadeur de Hongrie en France.
How has diplomacy served as a tool for preventing tensions and conflicts, most notably on a local level, during the 21st century?
George Habsburg-Lorraine: Naturally, diplomacy has changed over the past few years, and we now have communication means that did not exist 50 or 100years ago. However, one must bear in mind that diplomacy is not a technical tool like a computer, which receives and gives information. We, as diplomats, have the possibility to meet people, to talk with them, to engage in open discussion with other diplomats and officials. Consequently, diplomats have a viewpoint that is much closer to reality than the information we can find on the internet.
Diplomacy must always adapt to a given situation on the ground, it is a key tool for representation. A diplomat represents his country, wherever he is.
Regarding security, diplomacy is a necessary tool for avoiding conflicts. Developing collaborations and cooperations in order to find a pacifying solution to conflicts is one of the key objectives to this diplomatic tool.
What are the current key challenges to urban security?
There is an exodus from rural areas to large cities, which attract new habitants all over the world. In Europe, there is unfortunately not always enough housing for people who want to move to the limited space cities provide. Naturally, this situation – where citizens from different cultural, religious and socio-economic backgrounds are living together in a limited space – can cause tensions and conflicts. This issue of overpopulation is a significant one facing local and regional authorities, most notably large cities.
Fortunately, there are organisations that seek to find solutions to these issues and can relieve tensions on a local level. In order to maintain peace, we can always turn to technological tools. That being said, education and raising citizens’ awareness are, in my opinion, the most suitable, agile and relevant tools to prevent and diffuse conflicts.
During a conference at Texas Tech University in 2013, you mentioned that one of the merits of the European Union is that it guarantees its citizens a certain level of security, along with stability. What role can cities play, as the level of governance closest to citizens on the ground, by cooperating with European institutions in strengthening security and stability?
In this speech, I was not specifically referring to urban security. I was reflecting on the fact that the European Union has had great success in uniting different countries that have been coexisting peacefully since its creation. When we consider Europe’s history in the 21st century, we must remember the number of conflicts that destabilised the lives of its citizens: two world wars, the separation of the continent into East and West with the Iron Curtain, communism, national-socialism and fascism. We have seen a multitude of traumatic events, with millions of deaths and enormous catastrophes. There is no event more destructive than a war, which in two weeks can annihilate what peace has developed in forty, or even more, years.
After such horrors, the European Union was able to consolidate the situation and ensure peace, which is an indispensable basis for stability and security. It is this stability which has allowed economic development in many countries; and when neighbouring countries develop economically, risks and conflicts between them are reduced. Peace, stability, security and economic development go hand in hand. Unfortunately, we often have a tendency to only focus on this economic aspect whilst forgetting the rest, which is also crucial.
If the European Union operates well and the economy runs smoothly, this naturally ensures stability for cities and regions. In cities that prosper economically, and where the large majority of citizens have a good quality of life, there is a relatively low rate of crime.
Within the European Union, what tools would you suggest when it comes to strengthening multi-level governance for better cooperation, particularly on issues such as managing health or environmental crises, which risk fueling tensions and social polarisation?
The European Union was right in giving stature to different levels of governance. Since the Treaty of Maastricht, which was one of the most important treaties for the European Union, the notion of subsidiarity has been reinforced. Subsidiarity means that a larger entity does not have to handle problems that a smaller entity can solve in a more efficient and adequate way. Therefore, if a small city can find a solution to a problem, it is not necessary for the regional, national or international levels to intervene.
This notion allows a structure and way of operating which gives smaller entities more responsibility. This approach is very relevant, as it concerns the actors who are present on the ground, such as local officials and the Municipal Council, who understand the lived reality of their citizens, rather than those in power in the capital. I therefore think that if we respect the notion of subsidiarity, and if entities who are higher up listen more closely to what different local and regional authorities have to say, cooperation can be strengthened, allowing for better solutions.
You said in an interview for Le Figaro* that you are “a fervent European, because a Habsburg that is anti-European does not exist.” How can we, with the help of local and regional authorities, bring the EU closer to its citizens?
Indeed, no Habsburg could be anti-Europe. It doesn’t mean that everything that occurs in the European Union is always positive. We must recognise its problems, and, if justified, modernise the way the EU operates by adapting to the context and its current challenges.
I was naturally delighted when the European Union launched the Conference on the Future of Europe. It is essential to talk more about Europe and to bring it closer to the citizens who might not totally understand its role and what is decided at the EU level. Today, in the media, the EU is more often mentioned when there are problems and difficulties, such as the economic or health crisis. European issues are often covered through a negative lens while the European Union’s great success in ensuring more than 50 years of stability is rarely mentioned.
In order to engage citizens in a joint discussion, it is necessary to give them the chance to consider what they think of the future of Europe, what they expect from Europe, what suggestions can be given to the EU to improve its way of operating, and ways to bring the EU closer to its citizens.
I am very pleased that Hungary is one of the countries with the highest number of events organised for the Conference on the Future of Europe. Hungarian citizens who took part in the various events were able to give their recommendations to the European institutions.
Something I have noticed here in France is that Central Europe is not very well understood. We do not know its history from the past 100 years. Such knowledge would help to better understand the links between this part of Europe’s historic and cultural heritage and the policies that are carried out there. The same goes the other way round. In Central Europe, French history is not very well understood, nor how the situation has evolved and changed in France over the past hundred years. This knowledge could help us to better understand decisions taken in France.
The Conference on the Future of Europe can help us to know each other better, to become more aware and receptive to each other’s history and culture, and to try and understand certain decisions through a historic lens.
Today, a large majority of European citizens are in favour of Europe and recognise what the European Union has given to us. That being said, it is vital that we involve citizens in the future development of the EU. We have succeeded in creating this Union, but collective work is necessary to continue to make it function and improve it.
How can we better associate citizens to the co-production of urban security?
In short, via education. The term ‘education’ refers to many types of activities, not just to academic education. Education is so rich in possibilities that we can adapt methods to the relevant audience in order to have the best effects and resonance. We can, for example, think of education in terms of sport, because it offers the opportunity to take part in group activities and to find solutions to conflicts in a sport-oriented and recreational way. Education can also occur through music: learning to play instruments, spending time together, playing music together, can all allow for communal experiences. These educational tools are international and overcome differences between citizens. Naturally, education in schools remains essential to provide young people with key tools for life in society.
We can therefore see that education refers to so many areas and approaches that its possibilities are infinite. Every city, region and country can adapt their different forms of education to their context and challenges. It is an area in which European organisations can facilitate the exchange of good practices between cities and regions in order to inspire their peers.
*https://www.lefigaro.fr/international/un-habsbourg-ambassadeur-de-hongrie-en-france-20210402
BiographyThe grandson of Charles the First, last emperor of Austria and last king of Hungary, George Habsburg-Lorraine was born in 1964 in Germany . He studied law, history and political sciences in Austria, Germany and Spain prior to embarking on a career in television and communication. He moved to Hungary in 1992, where he obtained Hungarian citizenship. In 1996, he was named roving ambassador. In January 2005, he became President of the Hungarian Red Cross. He was appointed Ambassador of Hungary to France in December 2020.