Paris, France, novembre 2020 – Les applications de signalement de la délinquance peuvent-elles favoriser une meilleure assistance aux victimes ? Peuvent-elles fournir des informations fiables sur les chiffres noirs de la criminalité et sur le sentiment d’insécurité ? Quelles sont leurs implications légales, éthiques et sociales ? Telles étaient les principales questions abordées lors d’une webconférence organisée par le groupe de travail Sécurité & Innovation de l’Efus, le 30 octobre. L’événement a réuni des représentants d’autorités locales et régionales, d’organisations scientifiques et de recherche, et de la société civile.
Outils au service des citoyens et d’assistance aux victimes de délit
Les participants ont échangé sur la façon dont les applications de signalement de la délinquance peuvent aider les victimes avec la mise à disposition d’informations sur leurs droits légaux et les services d’assistance. Ces applis peuvent aussi aider les groupes vulnérables et encourager davantage de victimes à signaler les délits, ce qui mettrait à jour une part de la criminalité jusqu’alors ignorée.
Jorge González-Conejero, directeur exécutif de l’Institut du Droit et de la Technologie à l’Université autonome de Barcelone, a présenté RightsApp, qui donne aux citoyens européens victimes d’un délit dans l’un des 27 pays de l’Union des informations claires, sur leurs droits, sans jargon légal. L’appli est multilingue, centrée sur les personnes et facile d’utilisation. Elle est particulièrement utile lorsque l’on est victime d’un délit à l’étranger. Elle offre différents services : numéros d’urgence, informations détaillées sur les droits des victimes et sur les services d’assistance, les consulats et les ambassades.
Présentée par Robin Caroff de l’association française Résonantes, spécialisée dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes et des filles, AppElles permet aux utilisatrices qui se trouvent en danger d’appeler à l’aide par le biais d’une technologie d’alerte innovante et sûre. L’appli offre une assistance en temps réel sous la forme d’une liste de numéros d’assistance et d’urgence pour les victimes et les témoins. Elle comprend également une bibliothèque de ressources, avec notamment une carte interactive et des liens vers d’autres services de secours.
Collaboration multi-partenariale
Les deux applications ont été élaborées par un large partenariat. Pour Rights App, il s’agit de l’Université autonome de Barcelone, de la Croix Rouge de Barcelone, du Centre de Victimologie de Catalogne, du département de la Justice du gouvernement de Catalogne, et de la Ville de Barcelone. Pour AppElles, le partenariat réunit 29 organisations, dont le gouvernement français, plusieurs collectivités locales et régionales françaises, Cap Gemini, Facebook, BNP Paribas et diverses organisations de la société civile qui oeuvrent pour l’égalité de genre et contre la violence de genre.
AppElles mobilise aussi des acteurs locaux de la sécurité. Lorsqu’une utilisatrice entre dans une zone surveillée, il leur est demandé si elles autorisent que les alertes soient communiquées aux services de secours locaux. Les données sur les alertes sont conservées pour 15 jours seulement, et le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD) est garanti par un cabinet d’avocats spécialisé.
Risque de discrimination et de protection insuffisante des données
Si les informations réunies par le biais d’applications de ce type peuvent améliorer la réponse aux besoins des victimes, elles n’en présentent pas moins un certain nombre de risques. Les données qu’elles apportent en matière de sentiment d’insécurité doivent être considérées comme basées sur des perceptions subjectives, et donc sujettes à biais. Les biais conscients ou inconscients peuvent mener à des pratiques discriminatoires qui stigmatisent certains quartiers ou groupes de population. Si la base d’utilisateurs de l’appli manque de diversité, ce problème risque d’être aggravé. Lorsque la police utilise ces informations sans vérifier la présence de biais ou bien à partir d’un échantillon trop restreint, on peut aboutir à une situation où davantage de présence policière génère davantage d’arrestations.
Les applications qui s’appuient sur une communauté ouverte d’utilisateurs pour recevoir et répondre aux alertes peuvent être infiltrées par des individus malveillants, qui peuvent ainsi localiser la victime. Le risque existe également que certains utilisateurs aient un « complexe du super-héros », notamment en ce qui concerne la sécurité personnelle des femmes. En termes de protection des données, le danger existe que l’anonymat des données soit compromis par l’évolution des techniques analytiques. Un autre risque à prendre en compte est celui de la revente de données qui n’auraient pas été suffisamment protégées.
Quelques pistes pour mitiger les risques
● La collaboration avec les collectivités territoriales et les acteurs de sécurité et de prévention permet de garantir que l’application fournit des contacts et des services appropriés. Elle peut donner plus de visibilité aux services d’assistance aux victimes et garantir que l’information est accessible à un large public.
● Reconnaître que les statistiques fondées sur les données fournies par les applications d’alerte en cas de délit ne sont pas des données probantes mais plutôt qu’elles permettent de mieux mesurer le degré de sécurité d’un territoire et le sentiment d’insécurité de différents groupes de population.
● Une application facile d’utilisation et multilingue fournit ses services et informations à un large groupe d’utilisateurs. Veiller à la diversité de la base d’utilisateurs garantira que les données représentent bien tous les groupes de population.
● Les applications de signalement de la délinquance peuvent utiliser une communauté fermée de contacts de confiance et ainsi prévenir les cas d’utilisation inappropriée ou de vigilantisme.
> Vous pouvez suivre le groupe de travail Sécurité & Innovation sur Efus Network. Si vous souhaitez faire partie de ce groupe, contactez Pauline Lesch (lesch@efus.eu) et/ou Pilar De La Torre (delatorre@efus.eu)
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